On ne va pas se mentir, dès sa présentation en 2022, Redfall nous a tous laissés pour le moins dubitatifs. Après des jeux aussi remarquables que la saga Dishonored, ou le très bon Prey sorti en 2017, les amateurs des studios Arkane restaient circonspects face à ce looter-shooter vampirique quelconque. Pire, plus on découvrait le jeu via les multiples bandes-annonces publiées et plus les sujets d’inquiétude s’additionnaient. Il ne restait qu’un espoir. Que, comme à l’accoutumée, Arkane ait complètement foiré sa communication et qu’une fois clavier et souris en main, Redfall brille enfin de toute sa splendeur.

Genre : Looter-shooter avec des vampires Développeur : Arkane Studios (Austin) | Éditeur : Bethesda Softworks | Plateforme : Steam, Epic Games Store et Xbox Game Pass Configuration recommandée : Processeur Intel Core i7-9700K ou AMD Ryzen 7 2700X, 16 Go de RAM, AMD 5700 / NVIDIA RTX 2080 | Prix : 70 € Langues : Anglais avec sous-titres en français, français, et bien d’autres Date de sortie : 02/05/2023 Durée de vie : 15 heures en ligne droite, de 20 à 25 heures avec les quêtes secondaires.

Test réalisé sur une version fournie par l’éditeur.

Week-end à l’amer

Bienvenue à Redfall, petite île de plusieurs km² qui abrite une ville typique du Nord-Est américain entourée par l’océan. Soyez-en sûrs, vous y trouverez tout le nécessaire pour y passer un agréable week-end. Quand vous aurez visité son magnifique port de pêche, badiné à la fête foraine et admiré la ville depuis la grande roue, vous pourrez aussi faire un tour au cinéma ou dans une des nombreuses boutiques. Pourquoi ne pas acheter un VTT au magasin de sport du coin pour découvrir librement les falaises escarpées de Redfall, son phare ou le manoir d’un lord ? En revanche, à cause d’un coefficient de marée particulièrement élevé, l’océan s’est retiré à quelques mètres des côtes jusqu’à former un impressionnant mur d’enceinte aquatique. Idéal pour aller pêcher en toute quiétude les cadavres de poissons restés sur le sable ou fouiller les épaves de bateaux. En plus, pas besoin de crème anti-UV puisque le soleil est recouvert d’un étrange voile noir.

Bon séjour à Redfall !

PS : ne vous laissez pas distraire par les vampires ou la milice paramilitaire qui patrouille un peu partout en ville, ils n’ont aucun intérêt.

Bienvenue à Redfall
Bienvenue à Redfall

Après avoir choisi l’un des quatre personnages jouables du jeu, une série d’illustrations en 2D nous présente brièvement l’histoire : des gens malintentionnés ont malencontreusement créé des vampires décidés à transformer l’île en réserve naturelle de chair fraîche. Vous incarnez l’un des survivants qui ont tenté de s’échapper des lieux à bord d’un bateau. Une aventure qui s’est finalement terminée par un rapatriement teinté de magie noire sur les bords de l’île. Encore sonné par l’expérience, vous êtes réveillé par les bruits d’un festin, deux vampires s’empiffrant d’un cadavre juste devant vous. Alors que leur cheffe se joint au buffet et vous interpelle en baragouinant un soliloque inintéressant, le soleil se lève et ses rayons lui gratinent la peau. Ouf, vous voilà sauvé in extremis. Enfin, ça dépend de quel point de vue.

Redflag

Car les premières minutes passées en jeu peuvent laisser planer le doute. Les graphismes ne sont pas renversants, certes, mais les décors paraissent originaux : tsunami figé et ponctué de bateaux en lévitation, soleil mystérieusement voilé et marée basse constellée de cadavres, conférant presque un air de Lovecraft au paysage. On ramasse nos premières armes à feu qui, bien que très classiques, procurent de très bonnes sensations. Cette première zone portuaire laisse même envisager un level design qui nous poussera à l’exploration avec ses recoins, ses cavités et ses échelles.

Mais une fois parvenu à la caserne où se sont réfugiés les derniers résistants et les avoir libérés du terrible vampire qui occupait les lieux — trois cartouches de fusil à pompe dans le buffet auront suffi — la peinture commence à s’écailler. À la table de briefing, on valide notre première mission, qui consiste à récupérer tout ce qui pourra aider les survivants. Très bien, ça nous fera une escapade pour découvrir les lieux et prendre l’ai… OH MON DIEU ! Qu’est-ce que c’est que ces extérieurs tout vides et ces arbres aux branchages qui scintillent ? Ça pique les yeux et pour un titre en monde ouvert, c’est quand même con. Bon passons, surtout que quelques rares endroits et certains niveaux en intérieurs sont tout de même bien réalisés. Chez NoFrag, nous sommes tellement dévoués à la tâche que ce ne sont pas les graphismes qui nous empêcheront d’avancer. Ça tombe bien, deux hélicoptères militaires s’écrasent non loin (???) avec peut-être à leur bord du matériel intéressant. Redfall ayant fait le choix de ne pas incorporer de véhicules au jeu, ça nous fait une petite balade à pied, de quoi profiter d’une gestion des mouvements travaillée. Ah beh non, ça aussi c’est en partie raté du fait d’obstacles qu’on ne peut parfois pas escalader ou enjamber, sans raison apparente. Et puis c’est quoi ce level design frustrant, rempli de falaises qui bloquent notre progression et nous obligent à faire des détours de plusieurs centaines de mètres ? Et cette brume rouge qui apparaît de manière aléatoire sur la carte et qui provoque des dégâts, à quoi elle sert à part nous faire perdre du temps inutilement, HEIN ?

À de trop rare moments, Redfall nous rappelle qu'il est développé par une équipe gorgée de talents
À de trop rares moments, Redfall nous rappelle qu’il est développé par une équipe gorgée de talents

Mode coop tout cassé :

Le mode coop semble avoir été développé à l’arrache puisque les compétences des joueurs ne sont pas calées sur leur niveau. Ainsi, lorsqu’Estyaah, niveau 5, a voulu rejoindre ma partie où j’étais niveau 20, les ennemis ne faisaient qu’une bouchée de lui. Inversement, il ne faisait quasiment aucun dégât aux adversaires. Heureusement qu’une fois à terre, il pouvait quand même continuer à vider ses chargeurs pendant de longues minutes avant une mort définitive…

Allez, nous voici enfin sur place, prêt à en découdre ! Au moins les armes sont bien fichues, ont un bon design sonore et de bonnes sensations. Sauf que, peut-être à cause d’un problème d’anémie à force de se faire pomper le sang par les vampires, les ennemis sont extrêmement débiles et ont souvent un temps de réaction très long ! Quand ils réagissent ! Sans qu’on sache pourquoi, il arrive qu’on puisse se coller à eux et même en faire le tour sans qu’ils bronchent, alors que plus tard ils vont réussir à nous voir à une centaine de mètres en pleine nuit. De toute façon, une fois alertés, ils ne représentent aucune menace puisqu’ils se contentent de rester figés au milieu d’une rue déserte ou foncent tout droit dans notre ligne de mire. Les buveurs d’hémoglobine ne sont pas mieux, mais ils ont le mérite de pouvoir se téléporter autour de vous, complexifiant ainsi un petit peu les combats. J’ai bien dit « un petit peu », car même la soi-disant Némésis, repris directement du cauchemar de Prey se plie en trois pieux bien placés. Quant aux boss, c’est assez aléatoire. Certains vous demanderont plusieurs tentatives, tandis que d’autres, quand vous ne serez pas obligés de recommencer la session à cause d’un script qui ne se lance pas, ne seront que des sacs à PV ne représentant aucun challenge. Le tout dans la difficulté maximum.

Allégorie des producteurs de Bethesda exigeant d’Arkane un jeu en coopération et en monde ouvert, à savoir, l'opposé de ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant
Allégorie des producteurs de Bethesda exigeant d’Arkane un jeu en coopération et en monde ouvert, à savoir, l’opposé de ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant

Avec les dents

On aurait aimé s’arrêter là, mais plus on avance dans le jeu et plus on découvre l’ampleur de la catastrophe. Parlons par exemple de l’aspect looter-shooter. Personnellement, je déteste le principe, mais si cette grosse mécanique de flemmard est bien réalisée, pourquoi pas. Eh bien non, là non plus, ça ne fonctionne pas. En plus de devoir passer un temps fou à faire le tri en comparant les capacités des armes que vous ramassez toutes les 10 secondes, vous n’avez au final que trois emplacements d’armes à disposition. Contre sept catégories bien distinctes au total. De ce fait, on se fait avoir de très nombreuses fois en voulant changer d’arme : tiens, il me faudrait le shotgun pour terminer ce vampire. Ah, mais il n’est pas dans l’un de mes trois slots, déjà occupés par le fusil d’assaut, le sniper et le lance-pieux. Obligé d’ouvrir l’inventaire et de retrouver DANS LA PUTAIN DE MYRIADE D’ARMES que t’as loot entretemps, ton shotgun. Et bien sûr, ouvrir l’inventaire ne met pas le jeu en pause. Une occasion rêvée pour ces imbéciles d’ennemis d’enfin nous coller une balle dans la tête.

L'enfer sur Terre
L’enfer sur Terre

Immersive-nul :

 

Si vous comptiez vous amuser avec l’aspect immersive-sim, on a une mauvaise nouvelle : il n’y a que le strict minimum. Les objets explosifs et autres bidons d’essence ne peuvent pas être déplacés et sont immobilisés dans le décor. Les interactions avec l’environnement sont très limitées. N’imaginez pas non plus une foule de passages secrets ou de façons d’appréhender les niveaux…

On pourrait aussi parler de la gestion des pouvoirs des personnages jouables. Chacun sa petite aptitude, dont certaines inspirées des précédents jeux du studio. Notamment le blink de Dishonored, qui permet normalement de se téléporter à un endroit précis. Ici, le geek de service Devinder possède un objet qui en repompe le principe. Sauf qu’il s’agit d’un objet à lancer et qui, comme une grenade, peut ricocher sur un mur, tomber d’une corniche, etc. Super pratique dans le feu de l’action. Surtout que, pour couronner le tout, une fois la touche pour utiliser son pouvoir enfoncée, on ne peut plus annuler son lancer ! Évidemment, ces pouvoirs sont sujets à un compte à rebours pour limiter leur utilisation. Encore de quoi rager devant cette antithèse du blink qui était fluide et donnait un sentiment grisant lors de l’exploration. Même chose pour Layla et son ascenseur qu’on placera parfois malencontreusement au mauvais endroit. Autant vous dire que pour coordonner des actions en coopération, c’est raté !

S’il n’y a pas de tour à grimper pour dévoiler petit à petit la carte, on trouve quand même des refuges à réactiver et qui serviront ensuite de voyages rapides. Pour remplir encore un peu plus le monde ouvert de choses inutiles, il y a aussi des nids de vampires qui apparaissent de manière aléatoire et qui sont censés augmenter le niveau de menace si on ne s’en occupe pas. J’ai eu une lueur d’espoir en explorant les premiers et en découvrant une architecture qui rappelait Dishonored ou Deathloop. Mais en réalité, ce ne sont jamais que de longs couloirs garnis de vampires et un peu d’équipement comme récompense. Passé les trois ou quatre premiers nids, les décors se répètent et on constate que ne pas s’en occuper n’a aucune incidence sur notre aventure.

Vidé de son sang

Ce n’est malheureusement pas du côté de la narration qu’on trouvera du réconfort. C’est d’autant plus dommage que c’était jusqu’ici la force du studio. Alors, vous trouverez bien quelques phrases écrites sur des tableaux ou des murs qui en disent un peu plus sur l’univers, mais on est très (très) loin d’un Dishonored. Probablement la faute au monde ouvert qui, avec ses missions décousues, n’est pas la meilleure structure pour maîtriser et raconter une histoire. Par ailleurs, les subterfuges trouvés par les développeurs pour exposer le scénario font peine à voir : saynètes de fantômes figés qui palabrent, « cinématiques » constituées de plans fixes en 3D ou messages audios à collectionner. On a eu l’an 2000 au téléphone, furax, qui aimerait qu’on lui rende ses astuces de game design ! Enfin, après une vingtaine d’heures à se farcir des bouts d’histoires insipides, des ennemis ennuyeux et des niveaux soporifiques, dans un bref instant de lucidité, comme pour mettre fin à nos souffrances, les développeurs nous balancent le générique à la gueule. Oui, brutalement, comme ça, suite à un combat de boss qui n’avait rien de dantesque et qui ne sentait pas du tout la fin de l’histoire. Pire encore, à la fin du générique, Redfall boucle automatiquement en nous repassant la cinématique d’intro du jeu. Impossible de revenir explorer la carte ou de terminer les quêtes annexes, nous voici contraints de recommencer la campagne de zéro (en conservant la progression de notre personnage).

On pourrait croire à un niveau ouvert, rempli de passages secrets comme dans Dishonored, mais ce n'est qu'un immense couloir avec rien à explorer
On pourrait croire à un niveau ouvert, rempli de passages secrets comme dans Dishonored, mais ce n’est qu’un immense couloir avec rien à explorer

Bon, au moins, à part quelques freezes par ci, par là, ça tourne très bien, toutes les options graphiques à fond à plus de 60 images/s en 1440p sur un i9-9900K, une 2080 Ti et 32 GB de RAM.

#JeSuisArkane

Devant un tel désastre, notre soutien va aux développeurs que l’on sait pourtant doués et capables de réaliser de grandes choses. Quelle tristesse de voir un studio aussi talentueux qu’Arkane nous proposer un jeu aussi bancal. Oscillant entre le moyen et le complètement raté, il est très compliqué de trouver quoi que ce soit de positif à dire sur Redfall. Les patchs n’y changeront vraisemblablement rien puisque c’est dans sa structure même que le titre est vicié. Après un Deathloop en demi-teinte et ce Redfall catastrophique, on espère que les deux studios Arkane auront à nouveau l’opportunité de nous offrir des titres remarquables.

Vous avez du mal à vous y retrouver dans le catalogue Steam ? Alors suivez le groupe de curation NoFrag pour vous aider à séparer le bon grain de l’ivraie.

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12 Commentaires


  1. Merci pour le test.
    J’ai suivi de très loin le développement du jeu, comme on freine pour regarder un accident sur la route.
    Je savais même pas quel était le concept.
    Missions instancées ou campagne ?

    Bref, ça sentait le naufrage à plein nez.
    J’imagine qu’ils sont peu fiers du résultat, qui est clairement une commande de producteurs.

  2. Merci pour le test!
    Sa lecture laisse un sentiment désagréable de grand gâchis.
    J’avais envie d’espérer, mais là, à vous lire, même dans quelques mois et quelques patchs, à vil prix ça ne vaudra toujours pas le coup.
    Vraiment dommage.

  3. Le post-mortem de ce jeu risque d’être très intéressant… plein d’infos contradictoires à son sujet : commande foireuse de Bethesda, à contrario projet de coeur de Harvey Smith qui au final n’aurait pas eu les moyens de ses ambitions, Microsoft pas assez interventionniste… c’est dingue qu’une exclu pareille – qui plus est développée par un studio très en vue – n’aie bénéficié d’aucun vrai soin, de suffisamment de ressources et/ou d’un management venu d’en haut plus affirmé..

  4. Mouais, j’espère qu’Arkane ne va pas se faire parasiter outre-mesure par des décisionnaires incompétents dans ses futurs projets.

  5. Alors pour l’heure je trouve ça moins pire qu’Halo Infinite.
    Voilà, c’est tout.

  6. J’espère que noclip va faire une vidéo sur la fabrication de redfall, ça devrait être instructif.

  7. Nul en solo, pas trop mal en coop (à 2) avec la difficulté au max.
    Mais tu sens clairement qu’ils ne sont pas allé au bout de leurs idées, c’est dommage.

  8. @kvern

    Je peux comprendre que l’on s’intéresse à la recette du succès, mais les raisons de l’échec un peu moins (à moins que cela soit quelque chose de sérieux, pas du JV). Avant j’étais comme toi, j’avais trop de temps libre sans doute. Maintenant quand je vais au resto et que l’on foire mon plat, je vais pas demander en cuisine qui a merdé et à quel moment. Non, je demande juste à être resservi ou remboursé.

    Il y a quelque chose de morbide et voyeuriste chez la soit-disant « communauté des joueurs » de nos jours. Un peu comme quand les gens freinent sur l’autoroute pour apercevoir les dégâts après un accident. Quand je fais remarquer ça chez certains, j’ai souvent le même argument qui sonne comme une excuse à un vice. « Je m’éveille sur les conditions de travail des devs et les méchants exécutifs qui pensent qu’au pognon. Je ne prend aucun plaisir malsain à cela, absolument pas. »

  9. Justement le parallèle avec le restaurant est intéressante.

    Quand tu sais qu’un grand chef te fais de grands plats, le jour ou il fait de la merde, tu te demandes qu’est-ce ce qui a foiré dans le processus…

  10. Justement le parallèle avec le restaurant est intéressante.

    Quand tu sais qu’un grand chef te fais de grands plats, le jour ou il fait de la merde, tu te demandes qu’est-ce ce qui a foiré dans le processus…

    Il n’y a pas vraiment de surprise, si le chef est un champion en plat italien, il te sert des plats italiens du tonnerre. Le jour où tu lui demandes de te faire une pâtisserie ottomane avec des ingrédients manquants, personne n’est étonné que le plat soit dégueulasse. Maintenant, je me demande si le chef va être viré du restaurant ou si la carte sera changée.

  11. Ou tout simplement le cuistot a changé. Dans les grandes sociétés c’est pas toujours le même personnel pendant 10 ans.

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