« Oh non ! Encore un article de Caroline. Il va nous parler de statistiques Steam, d’un FPS indé moche ou poster une vidéo Youtube trop longue d’un top down shooter ». Et bien non, petit médisant, aujourd’hui je vais faire pire et vous parler de L’ARJEL, l’autorité française de régulation des jeux en ligne, en 2092 mots. Accrochez-vous.

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Loot boxes ?

Ces derniers mois, le sujet à la mode quand on parle de jeux vidéo dans les journaux, ce sont les loot boxes – des coffres à butin virtuels contenant des objets tout aussi immatériels. Parfois gratuites, elles sont plus souvent payantes, cette fois avec de l’argent bien réel. D’abord apparu dans les jeux mobiles free to play ou certains MMORPG, le système des loot boxes s’est rapidement implanté dans les productions à gros budget type AAA. Face à cette pratique, les réactions des joueurs sont variées et vont de l’acceptation pure et dure, porte monnaie ouvert, à une certaine lassitude. Ainsi, on a pu voir des polémiques naître, comme en novembre 2017 où l’annonce du modèle économique de Star Wars Battlefront II énerva tellement les joueurs que l’éditeur dû renoncer, temporairement, à son système de loot boxes payantes.

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Précisons tout de suite que comme pour les chasseurs, il y a les bonnes loot boxes et les mauvaises loot boxes. On liste déjà de manière non exhaustive quelques modèles financiers :

loot argent le 100% gratuit. Le seul moyen d’acquérir son butin est en jouant.
le gratuit… ou payant. On peut les acquérir en jouant, ou payer pour ne pas attendre.
le 100% payant : le joueur doit payer pour accéder à ce contenu.

Le contenu de la boîte varie aussi :

loot habits– Cosmétique (skins, habits, couleurs pour customiser son avatar ou ses armes).
– Gameplay (xp récoltée plus vite, armes plus puissantes, boost sur certains personnages, etc).

Enfin, le système d’obtention de l’objet peut varier :

loot random– On achète l’objet souhaité grâce à de l’argent contenu dans la loot box.
– On ouvre une boîte qui contient un objet aléatoire. Les objets les plus convoités sortant moins souvent.

Selon le modèle financier, le contenu et le système d’obtention, on passe d’un système acceptable à des pratiques problématiques. Dans un cas, les loot box sont faites pour motiver le joueur à revenir plus souvent et à enrichir son expérience, dans d’autres, pour le manipuler en visant à lui soutirer un maximum d’argent. Parfois, pour arriver à ces fins, on modifie parfois le jeu pour le rendre plus frustrant et pour pousser l’utilisateur à sortir quelques euros.

Système à la base réservé aux free to play, pour financer leur création, on retrouve désormais des jeux payants (PUBG, Star Wars Battlefront II, Overwatch, Counter-Strike GO, etc.) qui tentent de soutirer encore plus d’argent à leurs joueurs grâce à des loot boxes. Enfin, le manque de contrôle des éditeurs  face au public mineur ou l’absence de limites de dépenses maximales par joueur fait de plus en plus réagir.

Capture 5Ce système étant de plus en plus présent, il convient sans doute de l’analyser et de le réguler pour définir des bonnes pratiques et des limites claires. Récemment, ce sont la Belgique et les Pays-Bas qui l’ont attaqué en classifiant des titres à loot boxes dans la catégorie « jeux de hasard » allant même jusqu’à citer des jeux problématiques : Star Wars Battlefront II, Overwatch, FIFA 18 et Counter Strike: Global Offensive sont expressément nommés dans le communiqué de presse (ici traduit du flamand) du ministre de la justice néerlandais. Les studios des titres visés sont menacés, en cas de refus de l’annulation du système de loot box, d’une amende de 800 000 euros et de 5 ans de prison.

Edit : nounoursss me signale qu’un patch pour Counter Strike: Global offensive est sorti et empêche désormais les joueurs belges et néerlandais d’ouvrir les loot boxes. C’est donc la preuve officielle que Valve lit Nofrag et tient compte de nos suggestions. #halflife3

En suisse, un parlementaire soulève la question et souhaite que ce système passe sous la coupe de la récente loi sur les jeux d’argent, acceptée par le peuple helvète le mois dernier. Même son de cloche en Allemagne où la commission de la protection de la jeunesse se penche sur le phénomène.  En Chine, les contraintes sont multiples puisque les éditeurs doivent s’assurer qu’une loot box ne puisse être acquise avec de l’argent ou des monnaies virtuelles, que le contenu de ces boîtes doive pouvoir être acquis en jouant naturellement et que la probabilité de gagner du contenu et la quantité de certains objets soit clairement affichée.

Au Japon, le problème est bien connu via les Gacha Games. Ils se basent sur ces distributeurs de figurines présents dans la rue, dans lesquels on introduit 100¥-200¥, parfois 500 yens (4€) pour gagner des goodies d’une licence de notre choix. Le client cherche soit à obtenir une figurine précise – et sera donc poussé par le système à remettre de l’argent tant qu’elle n’est pas sortie de la machine – soit tant qu’il n’a pas une collection complète et dépensera donc des sommes importantes.

Kompu Gacha
japan-vrac.fr/jv-gacha-games/

Le système Gacha a été repris dans les jeux vidéo et est désormais présent dans une écrasante majorité des jeux mobiles au Japon. Les Gacha games sont extrêmement profitables aux éditeurs et poussent les joueurs à dépenser des sommes qu’ils n’auraient pas accepté de sortir à la base. Un jeu mobile ne se vendra jamais 45€, mais via ce principe d’achat ingame, l’éditeur d’un free to play peut se retrouver à faire des bénéfices importants, soit en exploitant sa base de joueurs sur de petits montants répétés, soit en proposant des montants ridiculement élevés et en visant les fameuses baleines, prêts à dépenser des sommes folles comme on peut le voir sur des jeux PC actuellement.

Face à des plaintes de joueurs de plus en plus nombreuses depuis 2012 et suite aux cas de personnes s’étant ruinées sur ce système, les éditeurs japonais ont été assez intelligents pour réagir avant qu’on le fasse pour eux et se font fixés des limites. Affichage des probabilités de déblocage d’un item particulier par exemple, plus de transparence sur le système de récompense ou abandon de ce système.

La France face aux boîtes à butin

Mais en France me direz-vous ? On s’en fout des autres ! Eh bien dans l’hexagone, c’est le sénateur Jérôme Durain qui a envoyé en novembre dernier un courrier à l’ARJEL, soulignant la présence de plus en plus fréquente des loot boxes dans les jeux vidéo. Il constate l’acceptation généralisée des box contenant des effets cosmétiques mais s’inquiète du danger de celles qui induisent que pour gagner, le joueur doit dépenser (le fameux pay to win) :

Sa lettre, qui dévoile une certaine connaissance du sujet – ou de bons assistants de rédaction – n’est pas restée morte puisque dans son rapport paru le 28 juin dernier, l’ARJEL mentionne la question des jeux d’argent dans le jeu vidéo. En page 4, l’autorité reconnait le problème induit par les loot boxes, notamment en raison de leur accessibilité à un public mineur :

– en effet, elles interviennent dans des jeux accessibles aux mineurs puisque sans aucune vérification de l’identité elles suscitent des habitudes et des réflexes qui en font, pour ces publics vulnérables, des passerelles privilégiées vers les véritables jeux d’argent. Le fait de dépenser de l’argent, de façon parfois répétée, dans l’espoir d’obtenir un personnage ou tout autre objet virtuel susceptibles de faciliter la progression dans le jeu, constitue, sans que cela puisse être toujours qualifié d’espérance de gain, un apprentissage aux paris et aux machines à sous;

Ils continuent en attaquant la partie de hasard générée par ce système et soulignent, à juste titre, le manque de contrôle qui en découle :

– par ailleurs, dans la plupart des micro-transactions, le joueur ne sait pas ce qu’il achète et le résultat de son acquisition est gouverné par le hasard ou plus exactement par un générateur de nombre aléatoire. Or, en l’absence de tout contrôle, il n’existe aucune garantie que la distribution des lots ne se fasse pas en fonction du comportement du joueur et de l’exploitation de ses données personnelles avec l’objectif de l’inciter à jouer davantage en manipulant le caractère aléatoire de la distribution;

– enfin, l’argument des éditeurs de jeu selon lequel toutes les «loot boxes» contiennent des lots, et donc se distinguent des jeux d’argent, est discutable: la pratique relève en effet de la technique du «near missed» utilisée dans les machines à sous qui consiste à donner le sentiment au joueur qu’il a presque gagné pour l’inciter à jouer toujours davantage et donc de façon excessive.

Un modèle économique juteux

Actuellement et face à cette fronde généralisée, les éditeurs font jusque là le dos rond, ou nient le problème. À l’instar d’EA qui fait une magnifique déclaration sur le sujet de la légalité des loot boxes en Belgique :

langue de bois2« We strongly believe that our games are developed and implemented ethically and lawfully around the world, and take these responsibilities very seriously. We care deeply that our players are having a fun and fair experience in all of our games, and take great care to ensure each game is marketed responsibly, including in compliance with regional ratings standards. We welcome the dialogue with Minister Geens on these topics, as we do not agree that our games can be considered as any form of gambling. »

On n’en attendait pas moins de la part de cette belle petite société d’artisans passionnés du jeu vidéo. La pratique des loot boxes est en effet de plus en plus souvent liée à la vision d’une oeuvre, non plus comme un produit à la durée définie, mais comme un « jeu vidéo en tant que service« . Si autrefois un jeu sortait puis était parfois mis à jour, le jeu est désormais constamment enrichi (…) sur la durée, à l’aide de booster, d’éléments esthétiques ou d’améliorations du joueur. Cette vision permet aussi aux éditeurs de proposer du jeu gratuit, en free to play. Ils se rattraperont ensuite sur les achats ingame, parfois bien plus juteux que s’ils avaient vendu un titre de manière traditionnelle.

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Notez que cette nouvelle façon de proposer du contenu n’est pas limitée au domaine du jeu vidéo. Les services tels que Netflix ou les tentatives de proposer du jeu vidéo en location répondent aux niveaux d’investissement faramineux des produtions modernes. Et cela fonctionne. Pour Ubisoft on note 27.9% du chiffre d’affaire effectué sur les Player reccuring investements (ventes d’items, DLC/Season Pass, abonnements, publicités). Idem pour Activision/Blizzard avec leur 4 milliards de revenus sur les micro-transactions toutes plateformes confondues en 2017 : ils auraient tort de se priver…

Des actions groupées

Face à ce constat, l’ARJEL avoue à moitié son impuissance. À l’exception des loot box à valeur marchande (donc que les joueurs peuvent ensuite revendre sur une plateforme telle que Steam, ce qui tombe sous le coup de la loi), le reste des boîtes sont dans une zone grise qui ne leur permet pas toujours d’intervenir. Mais alors actuellement, quand est-ce que l’ARJEL peut se prononcer ? Leur rapport nous aide un peu en abordant en page 6 et en 3 points, la définition du jeu d’argent réglementé :

1 – une offre faite au public
2 – conduisant à un sacrifice financier
3 – motivé par l’espérance d’un gain

À noter que la notion de hasard n’est pas retenue par l’ARJEL dans cette définition. Ils vont même plus loin en spécifiant :

[…] ce hasard est indifférent, ce qui découle du premier alinéa de l’article L.322-2-1 qui dispose que l’interdiction des loteries prohibées «recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur». Un jeu de pure adresse peut donc être un jeu d’argent. C’est pourquoi la formule «jeu d’argent» rend sans doute mieux compte de la réalité juridique que celle de «jeux d’argent et de hasard».

Un jeu ou seule l’adresse des joueurs compte peut donc – doit donc – être réglementé s’il regroupe les 3 critères ci-dessus.

En attendant une prise de position de l’ARJEL, on peut espérer, à plus large échelle, que les récents débat soulevés dans divers pays européens, asiatiques et américains tendent vers une mise en place de bonnes pratiques. À notre échelle, une législation européenne sur la question est à espérer. C’est d’ailleurs sur ce quoi conclu l’ARJEL en appelant à une action concertée des régulateurs européens et soulignant les spécificités du média jeu vidéo nécessitant des procédures et des contrôles particuliers. Dans l’espoir de susciter une réflexion commune, ils espèrent publier un document prochainement qui :

– précisera les règles communes et dans le but de susciter une prise de conscience chez les éditeurs de jeu;
sensibilisera les consommateurs sur les dangers de ces micro-transactions, en termes d’intégrité de l’offre de jeu et en termes d’addiction;
alertera les parents des risques auxquels s’exposent les mineurs et les appeler à une vigilance particulière.

Autant vous dire, face aux bénéfices financiers générés par les micro-transactions, que l’ARJEL va se trouver face à des adversaires motivés à se défendre.

pr ron

Chez NoFrag, et après vous avoir fait honteusement gagner des clés pour un event PUBG payant, nous n’allons pas nous permettre de vous faire la morale. L’achat de loot boxes chez un public adulte renvoie, dans une certaine mesure, chaque personne à sa responsabilité personnelle.

Malgré tout, face aux pratiques extrêmes de certains éditeurs, à l’utilisation de near missed et autres techniques de manipulation, il semble logique que ce système qui pousse le joueur à dépenser plus toujours d’argent rentre sous la loi des jeux d’argent et de hasard et soit encadrée comme telle. En attendant cet hypothétique solution, si les loot box sont si rentables et paradoxalement en train de détruire une partie de notre média préféré, c’est aussi grâce à cause de NOUS, joueurs consentants. On vous demande donc de vous arrêter et de gagner vos skins de Ak-74 roses, chapeaux vikings et autres bannières sanglantes à afficher fièrement sur votre profil à la sueur de votre front et aux mouvements secs et précis et répétés de votre poignet.

 

SourceRapport 2017-2018 de L'ARJEL
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