Fin août, un peu avant la publication de notre test de Bonding Ambivalence, j’ai contacté Questions Factory, l’équipe de développement du jeu. Elle est composée d’uniquement deux membres, Azad « Dazarious » Boubrit et Jérémi « Idreak » Mapas, qui sont très actifs sur leur serveur Discord, aussi bien pour aider les joueurs à se débloquer que pour discuter des différents aspects du jeu. J’ai eu l’occasion de m’entretenir un moment avec Idreak, qui a pu me raconter leur entreprise, de la genèse du projet jusqu’à sa sortie, les difficultés rencontrées, et la réception du jeu.

Pour rappel, Bonding Ambivalence est un puzzle game asymétrique basé sur la communication, dans un univers cyberpunk et dans lequel deux joueurs doivent résoudre tout un tas d’énigmes, avec chacun un point de vue différent. Des phases d’action viennent entrecouper les phases de réflexion pour mettre un peu la pression et varier le gameplay. Mais comme on le disait dans notre test, malgré une bonne volonté des développeurs, la partie shoot n’est pas à la hauteur du reste de leur production. Heureusement, elle est en second plan, les puzzles prenant une place majeure dans le titre. Malgré ses défauts, on considère que Bonding Ambivalence est l’un des meilleurs jeux de sa catégorie.

Bonding Ambivalence Presskit BtS GenetechEntrance

NoFrag : Quel est votre parcours ? Comment est né le projet Bonding Ambivalence ?

Idreak : La genèse du projet se retrouve pendant nos études, à l’école d’ingénieur en aéronautique de Poitiers (ISAE-ENSMA). Dazarious était dans la promo précédente, mais on s’était croisés en dehors des cours. Il avait une appétence pour l’aspect artistique, et maniait déjà Blender pour faire des montages 3D. De mon côté, j’étais passionné de jeux vidéo depuis tout petit – j’ai même fait un peu de compétition sur Battlefield 3 à l’époque –, je faisais du théâtre et étais très intéressé par la mise en scène. Mais la vraie rencontre se fait pendant mon projet de fin d’étude, dans la même entreprise que Dazarious. On discute de plein de trucs, dont du jeu vidéo, car il développait déjà de petits escape games sous Unreal Engine 4 pour ses potes. L’élément déclencheur, c’est qu’on se dit, sur le ton de la blague, qu’on allait faire un jeu ensemble sur le thème des gilets jaunes. Puis le covid est arrivé, et a tout précipité. On écume alors la plateforme de mooc Udemy, pour apprendre à coder. Lui en C++, moi en C#. Et du coup, on commence à bosser sur notre projet de jeu vidéo, mais on se rend compte, vers fin 2020, que le thème n’est pas vraiment exploitable pour un titre commercial.

Début 2021, Dazarious souhaite pleinement se consacrer à la création de jeu vidéo. Alors on réfléchit à faire un escape game, puisque c’est un domaine qu’on connaît un peu. Le document de game design est initié en janvier, et dès février, le développement débute. De mon côté, j’avais commencé une thèse, j’apportais mon aide sur mon « temps libre », ce qui faisait des semaines franchement bien chargées. En novembre 2021, on crée la société Questions Factory.

Bonding Ambivalence Presskit BtS AntikMap

NoFrag : Quelles ont été les étapes déterminantes pendant la création de Bonding Ambivalence ?

Idreak : La première, je pense que c’était la décision d’en faire un titre coopératif. Avec le recul, je pense que ce n’était pas la meilleure chose à faire pour un tout premier jeu. Synchroniser les éléments et limiter les lags demande un travail titanesque, que je ne souhaite à personne qui débute dans le milieu. Mais par contre, une fois qu’on a dépassé ces problèmes, on a l’impression de pouvoir faire tout ce qu’on veut…

Ensuite, on a fait les premiers tests de Bonding Ambivalence en avril 2022, à la Gamers Assembly, à Poitiers. C’était la première fois qu’on avait des retours de personnes autres que notre entourage. On a pu voir les réactions en temps réel, ce qui marchait ou pas, s’il manquait des trucs, etc. Ça nous a vraiment sauvés, parce qu’avec la tête dans le guidon, on était passés à côté de plein de choses. Du coup, d’avril à octobre, c’est le gros crunch. Je rejoins à temps plein Dazarious sur la dernière ligne droite. Juste avant la sortie, on fait les derniers débogages, et on implémente même deux ou trois éléments au dernier moment, dont le Stinger (ndlr, outil pour désarmer les mines), bien qu’ils aient été prévus depuis longtemps. Et Bonding Ambivalence sort le 26 octobre.

Bonding Ambivalence Presskit USAC Character 04

NoFrag : Aviez-vous prévu la fenêtre de sortie ? Et comment ça s’est passé ?

Idreak : La deadline, c’était de le sortir avant décembre, pour des raisons économiques. Si vous connaissez un peu le monde du jeu indépendant en France, vous savez que Pôle Emploi est sans doute l’un de ses plus gros soutiens financiers ! En gros, pour ne pas être dans le rouge, il ne fallait pas attendre le dernier moment, car Steam paye avec un mois de décalage. Le jeu a très bien démarré – à notre échelle –, ce qui nous a permis de finir l’année en positif et ne pas être en liquidation.

NoFrag : On a vu qu’il y avait eu un pic de 162 joueurs simultanés en juillet, c’est suite à un événement particulier ?

Idreak : C’est venu d’un influenceur, qui a publié une vidéo sur Tiktok. Les ventes sont reparties en trombe. À notre niveau, ce nombre de joueurs est très significatif, car si jusqu’alors, on était plutôt dans le mood « c’est le seul jeu qu’on fera », on est maintenant passés à « on va peut-être continuer dans l’industrie ». En tout cas, on n’a clairement pas envie que l’aventure s’arrête ici. Pour donner un ordre d’idée, on a engrangé environ 100 000 € de chiffre d’affaires. Évidemment, il faut enlever tous les frais, dont les 30 % de Steam, etc. Pour nous, c’est une réussite. Et le succès appelle le succès : on n’est plus dans le fin fond du sac de Steam, donc on sera sans doute aussi plus visibles si on lance un nouveau projet.

Bonding Ambivalence charts

NoFrag : Parlons un peu du jeu en lui-même. Quel était votre objectif en termes de game design ?

Idreak : On voulait donner un sentiment d’enquête policière, de tirer un fil pour révéler l’intrigue au fur et à mesure, et un peu aussi de faire réfléchir. Le scénario est cryptique, mais fait référence à plusieurs domaines de la science, comme la biologie, l’informatique ou même la physique quantique. D’ailleurs, l’énigme basée sur ce principe a posé des soucis à pas mal de monde ! De manière générale, on voulait amener les joueurs à communiquer pour échanger leur point de vue, et prendre une décision, alors qu’ils ne sont clairement pas sûrs d’aller dans la bonne direction. On a essayé de faire en sorte que les joueurs soient guidés subtilement jusqu’à cette solution, mais que ce ne soit pas une évidence. Un autre point sur lequel on était d’accord dès le début, c’est que la solution de chaque énigme devait être aléatoire : on ne voulait pas qu’on ait la réponse juste en regardant un walkthrough. Si on y a recours, on voit la méthode, mais au moins, on doit se creuser un peu la tête pour réussir. Et puis c’est aussi plus sympa pour nous, quand on doit tester, ainsi que pour les speedrunners.

NoFrag : Parlons des choses qui fâchent : pourquoi le fusil à pompe est-il nul, alors que le fusil d’assaut et le pistolet ont un peu de recul et sont plutôt agréables à jouer ?

Idreak : Ah, le fusil à pompe… C’est mon plus grand regret. À l’origine, il avait beaucoup de recul et une grosse dispersion. Mais lors des playtests, on s’est bien rendu compte que la plupart des personnes fans de puzzles n’étaient pas très expérimentées sur les FPS. Elles n’arrivaient pas du tout à l’utiliser, et on a dû baisser les curseurs pour qu’il soit facile à appréhender, au détriment des sensations. Globalement, les combats étaient, à l’origine, beaucoup plus durs. On a dû beaucoup alléger cette partie pour que ce ne soit pas une galère pour ce type de joueurs. On sait que c’est une faiblesse du jeu, mais aussi que ce n’était pas primordial. Il y a d’ailleurs eu des retours négatifs de personnes qui s’attendaient à jouer à un shooter classique. Et on ne peut pas leur en vouloir, car on a fait l’erreur de faire un teaser qui mettait trop l’accent sur les combats. Pour la vidéo de lancement, on s’est beaucoup plus focalisés sur les énigmes et la coopération, pour coller au mieux à la réalité du jeu.

On est également conscients que les ennemis sont très basiques, mais on ne pouvait pas se permettre de passer des mois pour améliorer le feeling. On a préféré allouer ce temps sur les puzzles, qui sont plus déterminants pour le jeu. Mais maintenant, on sait comment faire, alors pour un futur puzzle-shooter, c’est sûr qu’on travaillerait plus sur les adversaires.

NoFrag : Pour terminer, en tant qu’informaticien, j’ai particulièrement apprécié l’interface de hacking, et maintenant que je sais que vous êtes tous les deux ingénieurs, ça prend tout son sens !

Idreak : Et ce n’est pas la seule chose empruntée à notre parcours professionnel ! Par exemple, l’énigme dont nous sommes le plus fiers est celle du réacteur nucléaire. On estime avoir plutôt bien reproduit la gestion d’un tel système. C’est évidemment très simplifié, mais c’est presque réaliste ! Et pour l’interface de piratage, on s’est inspirés du DOS D’IBM, pour donner l’impression de hacking « réaliste ». On voulait que cela soit cohérent avec l’univers, tout en restant accessible. Au départ, on voulait ajouter un système de fichiers, mais ça devenait trop compliqué. On s’est contentés de quelques commandes, avec des descriptions, pour que les gens allergiques à la ligne de commande ne rage quit pas en voyant l’écran !

Merci beaucoup à Idreak d’avoir accepté d’échanger avec NoFrag !

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4 Commentaires


  1. Belle interview et encore bravo à eux pour cette découverte que j’ai beaucoup apprécié !

  2. Bravo Estyaah
    Bravo à eux pour ce jeu

    Question pratique : il faut une licence ou deux pour jouer en coop ?

  3. Question pratique : il faut une licence ou deux pour jouer en coop ?

    Il en faut deux : un jeu par personne.

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