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Deathloop en chiffres : comme un air de déjà-vu

Cela fait maintenant huit mois que Deathloop, le dernier jeu d’Arkane Lyon est sorti. Se démarquant véritablement de tous les autres AAA au niveau de son gameplay, le succès critique a été au rendez-vous, en témoigne l’avis plutôt unanime de la presse sur Metacritic. Avec un score de 87, il se situe entre Dishonored (91) et Dishonored 2 (86), et un peu au-dessus de son grand frère issue de la branche Arkane Austin, Prey (82). Pour rappel, il s’agit d’un immersive sim orienté action, dans lequel on mène une enquête. Mais une enquête inversée, puisque le but est de trouver comment exécuter, en une seule journée qui se répète à l’infini, huit cibles se trouvant à différents endroits d’une île et périodes de la journée.

Le joueur, cet ingrat

Malgré d’indéniables qualités, de nombreux problèmes techniques comme des bugs et une optimisation à la ramasse sont venu ternir le tableau, ce qui a déçu pas mal de joueurs qui espéraient une meilleure expérience qu’à la sortie de Dishonored 2. Comme pour son aîné, les reviews Steam se sont montrées un peu mitigées, principalement à cause de cela. On notera d’ailleurs qu’une partie des commentaires les plus récents abordent toujours ces mêmes sujets, ce qui n’est clairement pas normal au bout de tant de temps…

Mais pour aller un peu plus loin qu’une impression, il faut du concret. N’étant pas disposé à lire moi-même les presque 21 000 évaluations Steam sur le jeu, je me suis orienté vers le traitement de données automatisé en récupérant le maximum de commentaires exploitables pour en compter les mots. J’ai jeté mon dévolu sur les reviews en anglais, soit un peu plus de 12 000 commentaires, ce qui me semblait largement suffisant pour obtenir une bonne représentativité. À partir de là, un long travail de tri et de regroupement des mots proches et de différentes orthographes m’a permis d’obtenir ce joli nuage de mots :

Nuage de mots issu du comptage des occurrences dans les reviews Steam en anglais pour Deathloop

On constate que Deathloop a globalement bien plu grâce à ses mécaniques de jeu et son histoire. On retrouve par exemple beaucoup de fun (dans 15,2% des reviews), good (12,7%), great (10%), un peu de story (6,4%), gameplay (5,8%), ou encore enjoy (4,3%) et unique (2,1%). Mais on ne peut plus douter des problèmes techniques quand on voit le nombre de mots relatifs à la stabilité et l’optimisation, comme crashes (5,3%), issues (5%), stuttering (4,2%) ou performance (3,8%)… C’est d’autant plus dommage que les autres points négatifs, tels que la fin du jeu bâclée (3%), l’IA débile (2,2%), le fait que le jeu soit mauvais (2,4%), chiant (1,2%), trop facile (1,1%) ou trop répétitif (0,9%), sont beaucoup plus dilués, et ne représentent finalement pas énormément d’expériences.

Autre point intéressant, on peut voir que 1,4% des joueurs désignent Denuvo comme étant la cause principale des problèmes de performances, bien qu’il ne semble a priori pas y avoir de consensus clair sur l’impact du logiciel anti-piratage dans Deathloop. Au point où on en est, le retirer provoquerait, dans le pire des cas, une bonne publicité et sans aucun doute un effet placébo auprès des joueurs. D’autre part, 1,5% des reviews conseillent d’attendre des patches et 1,1% de ne prendre le jeu que s’il est en promo. Il faut croire que jusqu’à présent, pas grand monde n’a suivi ni la première ni la seconde recommandation, car excepté en décembre, le nombre de joueur n’a fait que baisser depuis la sortie.

Enfin, pour terminer sur une note plus grasse, on pourra retrouver 1,1% de fuck ou fucking, 1% de shit et 0,4% de ass, preuve que la censure de Steam ne se fait qu’à l’affichage. On restera très déçu par la faible occurrence de potato qui ne se retrouve que dans un peu moins de 0,1% des commentaires.

Sous le feu des projecteurs

Mais laissons de côté l’avis des joueurs et tournons-nous vers les strass et paillettes. Deathloop a été nominé un nombre de fois impressionnant pour toutes sortes de catégories différentes et par différents acteurs de l’industrie : des journaux, mais aussi des regroupements de professionnels du jeu vidéo. Voici les prix qu’il a raflé chez les plus importants ou qui ont retenu notre attention :

On constate que dans l’industrie, le travail de Sébastien Mitton, directeur artistique et celui de Dinga Bakaba, directeur créatif, ont été très appréciés. Est-ce que tous ces prix ont permis à Bethesda d’écouler plus de jeux ? C’est probable, mais malheureusement aucune information fiable ne nous permet d’affirmer les choses avec certitude. Des pistes indiquent que les ventes ont été correctes au démarrage, principalement du côté Playstation (dont il est une exclusivité sur console) ici et , et il a été la meilleure vente Steam la semaine de sa sortie, mais le jeu n’apparait pas dans le rapport du S.E.L.L. qui couvre l’ensemble du marché français pour l’année 2021.
Le site Steamdb, que j’ai largement utilisé pour faire des statistiques, propose une méthode relativement fiable pour estimer les ventes Steam d’un jeu – et que l’on a déjà employée pour le dossier sur les rétro-FPS : on multiplie le nombre de reviews par une constante pour avoir la fourchette haute et une autre pour la fourchette basse. J’ai calculé l’estimation des ventes sur les huit premiers mois uniquement pour Dishonored 2 et Prey, afin d’avoir des données comparables aux huit premiers mois de Deathloop. Les chiffres de Dishonored sont exclus car totalement farfelus, sans doute à cause de la mise en place des évaluations Steam après la sortie de ce dernier.

Estimation des ventes Steam pour Dishonored 2, Prey et Deathloop

Il est généralement admis que les ventes de Dishonored 2 et de Prey ont été décevantes (1,2). Même s’il semble y avoir une amélioration pour Deathloop, on reste tout de même dans volumes similaires. Attention, on ne voit ici que les chiffres Steam, la campagne marketing agressive a peut-être mieux porté ses fruits sur la console de Sony, d’autant plus qu’il n’y avait pas beaucoup de concurrence sur cette plateforme. D’autre part, il ne faut pas oublier que l’exclusivité Playstation court jusqu’à septembre prochain, date à laquelle les possesseurs de Xbox pourront eux aussi profiter du titre. Un rebond des ventes PC dû au marketing sur la plateforme de Microsoft pourrait un peu plus creuser l’écart avec ses aïeux.

Le meilleur jeu auquel personne ne joue

Du côté du nombre de joueurs, il n’y a pas d’équivoque, les jeux Arkane ont tous les quatre des tendances très proches. Voici par exemple le pic, survenu pour chacun au moment de leur sortie :

Chiffres issus de Steamcharts

Cependant, on voit que Deathloop n’a pas pris le meilleur départ. Les premiers mois d’exploitation le reflètent bien également, le reléguant en dernière position dès le cinquième mois. Les différentes mises à jour majeures – la troisième est arrivée il y a quelques jours – n’ont pas réussi à endiguer l’hémorragie. En ce moment, il n’y a plus qu’environ 250 à 300 joueurs connectés, soit à peu près 4% du volume de joueurs initiaux, ce qui n’est clairement pas très impressionnant, d’autant plus pour un titre avec une composante multijoueur. Les graphiques ci-après montrent la proportion de joueurs restants au fil des mois et le nombre moyen de joueurs par mois avec la première fois où les jeux ont été en promotion à -50% sur Steam.

Bien plus vite que les jeux Ubisoft, ceux d’Arkane sont bradés à -50% entre 47 jours et 144 jours après leur sortie. Au passage, on s’aperçoit bien ici que Prey ne devait vraiment pas remplir les objectifs. D’autant plus qu’il a également subi une baisse de prix définitive à 40€ au cours du cinquième mois, tandis que Dishonored et Dishonored 2 ne l’ont eut respectivement qu’au cours du huitième et septième mois. La première promotion pour Dishonored et Deathloop est sans doute due au calendrier, car elle tombe sur le Black Friday, et n’est donc pas forcément indicatrice de mauvaise performance. On pourrait extrapoler les données des précédents jeux Arkane pour parier sur une baisse de prix définitive de Deathloop d’ici quelques semaines, mais encore une fois, le rachat par Microsoft a peut-être chamboulé complètement les attentes côté Bethesda, qui patienterait alors jusqu’à la sortie dans l’écosystème Xbox pour tenter quelque chose.

Briser la boucle

Contrairement aux professionnels de l’industrie, le grand public ne semble pas spécialement attiré par les jeux dont le gameplay sort de l’ordinaire. Alors quand en plus, il y a des bugs et des soucis d’optimisation, et que même la population cible se déchire, il ne reste plus beaucoup de joueurs. Et si les patches ont certainement amélioré l’aspect technique, cela ne résoudra pas le problème majeur des immersive sim d’Arkane : leurs jeux sont difficiles à appréhender. Deathloop a d’ailleurs été le pire des quatre, enchaînant vidéos sur vidéos pour tenter d’éclaircir la chose. Même chez Nofrag – pourtant le point de convergence de l’élite des joueurs PC, nombre sont ceux n’ayant rien compris de la boucle de gameplay avant sa sortie. Néanmoins, l’arrivée sur les consoles Xbox et le Xbox Game Pass, sans doute à grand renfort de publicité, pourrait changer la donne en remettant le jeu dans la lumière, après un an d’éloges, d’explications et de mises à jour. Ce ne sera probablement pas suffisant pour inverser la tendance cette fois-ci, mais qui sait, peut-être qu’un jour, Arkane parviendra à briser la boucle.

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