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[INTERVIEW] Une entrevue avec Protocore : « Lorsque DOOM rencontre le Machine Learning »

Nous avons eu l’occasion de vous parler à plusieurs reprises de Protocore, un fast-FPS strasbourgeois avec des robots. Le jeu vient d’achever une nouvelle phase d’alpha fermée, et la dernière fois que nous avions joué au titre (à la Gamescom), nous étions loin d’être convaincus. Nous sommes allés à la rencontre d’IUMTEC, le studio derrière Protocore. 

NoFrag : Pouvez-vous nous présenter l’équipe ? D’où venez-vous, combien de personnes sont actuellement impliquées dans le développement et quelles sont vos expériences précédentes ?
IUMTEC : On est une équipe d’une douzaine de personnes qui viennent d’Alsace, mais aussi d’Auvergne, de Bretagne, d’Île-de-France, et même d’Écosse. On est pour la grande majorité présents dans les mêmes locaux à Strasbourg, tandis que d’autres travaillent à distance quand les postes le leur permettent. Côté expérience, on est une équipe composée quasiment uniquement de “juniors”, c’est-à-dire de jeunes avec moins de cinq ans d’expérience dans le JV. À la limite, il y a juste notre rédacteur/scénariste qui est un ancien journaliste de chez Joystick et qui a un certain bagage derrière lui. Mais pour tout le reste de l’équipe, c’est la première fois qu’on se retrouve sur un projet aussi imposant.

NoFrag : Parlons un peu de Protocore, votre FPS futuriste : pouvez-vous nous le présenter en quelques lignes ?
IUMTEC : Tiens justement, on a un nouveau pitch depuis peu : PROTOCORE, lorsque DOOM rencontre le Machine Learning ! Héhé, ok ça fait un peu putassier, mais avouez que ça en jette. En plus ça résume vraiment ce qu’on veut faire : un FPS futuriste au gameplay fluide et bourrin où tu vas combattre des hordes de robots dans un gigantesque vaisseau spatial. Le petit twist, c’est que la difficulté est gérée par une IA qui s’adapte à tes actions en changeant dynamiquement les règles du jeu. C’est LA fonctionnalité sur laquelle on travaille depuis super longtemps et qu’on est sur le point de faire tester à notre communauté pour voir si ça fonctionne.

NoFrag : Vous êtes un studio indépendant, comment ça se passe du côté financier ?
IUMTEC : Comme la plupart des indépendants, on n’est absolument pas assez bien payés par rapport au travail abattu et absolument pas sûrs de pouvoir assez bien vendre notre jeu. Cela dit, ça s’est particulièrement bien passé pour nous. On est deux fondateurs à avoir mis toutes nos économies dedans et on a ensuite réussi à trouver beaucoup de subventions publiques couplées à des prêts bancaires. Mais malgré tout ça, le projet coûte cher et on s’est vite rendu compte qu’on sera obligés de passer par un éditeur pour compléter ce qu’il nous manque. Ne serait-ce que pour prendre en main le marketing, la distribution, la localisation, le portage console… Bref, plein de choses qu’on ne maîtrise pas et pour lesquelles il va nous falloir un partenariat solide. Sinon le développement en lui-même est quasiment entièrement financé, on n’est pas loin de voir la fin du tunnel et ça fait vraiment plaisir parce que financer un projet comme le nôtre, c’est vraiment un travail de titan !

NoFrag : Pour revenir à Protocore, quelle a été la motivation derrière le développement d’un fast-FPS en arène ?
IUMTEC : Pour la petite histoire Florent et moi-même (Thiébaut), les deux fondateurs de la boîte, nous sommes rencontrés sur le mod Nazi Zombies de CoD 5 il y a maintenant quelques années. Beaucoup plus tard, on a commencé à bricoler des jeux dans notre coin jusqu’à faire un concept de fast shooter qui nous a bien hypés. On s’est rendu compte qu’on était beaucoup plus à l’aise sur le gamedesign de FPS en général, peut-être parce que c’est le genre qu’on a le plus poncé quand on était jeunes, tout simplement. Cela dit, on réalise maintenant que faire un FPS c’est quand même super chaud, il y a énormément de codes que tu ne vois pas quand tu es joueur (comme plein d’autres genres d’ailleurs, faut pas se leurrer). Et surtout il y a peu de FPS indé, donc on n’a pas trouvé énormément de retours d’expérience, et les éditeurs sont généralement assez frileux avec ce genre de jeu.

NoFrag : Vous n’avez pas peur de faire un bide ? Le fast-FPS ne semble plus vraiment être la mode et beaucoup se sont cassés les dents.
IUMTEC : Je pense que tous les indés doivent avoir peur de faire un bide, quel que soit le genre. Tu le sais sûrement, mais c’est en général ça le jeu vidéo indé : 9 jeux en développement sur 10 ne sortiront jamais, et moins de 10% de ceux qui sortent réellement sont à peu près rentables. Mais tout ça, ce n’est pas vraiment une histoire de genre : ce qui compte surtout c’est l’identité d’un jeu, les fonctionnalités, l’ambiance, les personnages qui lui sont UNIQUES. On s’est rendu compte que c’est surtout ça qui fait que ton jeu peut sortir de la masse aujourd’hui… Le genre importe peu, il y aura toujours un public plus ou moins grand pour y jouer. Le tout est de faire un bon jeu (ce qui est très loin d’être gagné) et d’avoir une bonne campagne marketing (ce qui est malheureusement improbable sans publisher). Donc oui, on a peur de faire un bide mais bon, on ne ferait pas de jeu vidéo si ça nous posait vraiment problème.

NoFrag : Concernant la direction artistique, pourquoi des robots et pas des êtres de chair et de sang pour éclabousser les murs bien blancs des différentes salles ?
IUMTEC : Parce que ça ne correspondait pas à l’univers qu’on avait imaginé pour notre jeu. Dans PROTOCORE tu te bats contre la Machine, froide, calculatrice, avec des légions inépuisables de robots à ses ordres… On n’allait pas mettre des mutants/zombies/démons juste pour avoir du gore, déjà omniprésent dans d’autres FPS qui en ont fait leur cheval de bataille. Ok, c’est jouissif d’éclabousser des murs avec des boyaux, mais on s’est lancé le défi de faire sans pour assumer notre contexte et l’identité de notre jeu. Maintenant avec le recul, on a réalisé que c’était un peu une idée à la con et que c’est très difficile de faire un FPS jouissif et doté d’une âme artistique forte avec des robots.

NoFrag : Protocore proposera un système de classes, pouvez-vous les détailler ainsi que leur fonctionnement ?
IUMTEC : Ahaha… Vu que la langue de bois c’est pas mon truc, je vais te dire que les classes de personnage, c’est sûrement LE truc qui a le plus bougé durant le développement et qui risque fortement de passer à la trappe. Principalement parce qu’on n’en a pas besoin : entre les différentes armes, les capacités spéciales et les améliorations de ton personnage, il y a déjà largement moyen de personnaliser ton expérience sans avoir réellement besoin de classes. Quand tu es dev indé, tu apprends vite que faire des fonctionnalités juste pour élargir le cahier des charges comme le font les AAA, c’est sûrement la plus mauvaise idée du monde. Donc non, au final il n’y aura sûrement ni système de classes, ni craft, ni housing dans PROTOCORE et oui, il faut qu’on mette à jour notre presskit pour éviter qu’on nous repose la question dans une autre interview 😉

NoFrag : Le gameplay de Protocore repose énormément sur le crowd control, avec par exemple différentes capacités pour tenir les adversaires à distance ou les ralentir. Pouvez-vous nous en parler un peu de votre point de vue ?
IUMTEC : Le gameplay de début de jeu repose principalement là-dessus parce que beaucoup d’unités au corps-à-corps arrivent en masse. On a donc focalisé le ressenti de crowd control avec des armes qui ralentissent les ennemis à l’impact. On est d’ailleurs en train d’améliorer ça en ajoutant des effets de stun ou de renversement aux armes vraiment puissantes (genre un coup de pompe au CàC). Non seulement c’est important pour que le joueur puisse combattre des ennemis largement supérieurs en nombre, mais ça évite aussi l’effet “pistolet à bouchon” que tu peux retrouver avec les armes de certains jeux. À l’inverse, on prévoit d’ajouter des ennemis plus lourds mais moins nombreux qui ne seront que peu affectés par le crowd control. On envisage aussi des ennemis à distance pour trancher un peu avec ceux au corps-à-corps et faire en sorte que notre jeu ne soit pas juste une histoire de tirer sur des ennemis qui te suivent tout en reculant.

NoFrag : Sur la page Steam du titre, vous parlez d’une “IA qui évolue” : c’est-à-dire ?
IUMTEC : Mince, du coup je l’ai spoilé dans la précédente question.. C’est pas grave, je vais essayer de décrire plus pratiquement son fonctionnement. En gros, on a une IA qui gère la difficulté en analysant ta façon de jouer, la distance que tu parcours, depuis combien de temps tu n’as pas pris de dégâts, etc. À la fin d’une partie, l’IA t’attribue un “profil” qui influencera les choix d’amélioration faits dans son propre arbre de compétences car à chaque fois que tu up ton perso, l’IA fait de même avec l’adversité du jeu. Ces améliorations auront ensuite un effet direct sur ta prochaine partie en changeant la composition des ennemis par exemple, en en améliorant certains qui sont particulièrement efficaces contre toi, ou alors en changeant le level design pour intégrer des pièges qui contreront ta façon de jouer. Bref, tout est fait pour que le joueur ait l’impression que le jeu est vivant et veut contrer ses forces, ce qui devrait l’encourager à changer de style de jeu et à travailler sur ses faiblesses plutôt que de bourriner avec la même strat pendant toute la campagne.

NoFrag : Quels seront les différents modes de jeu à la sortie du titre ?
IUMTEC : Aujourd’hui on a le mode NEMESIS, qui est le mode principal de notre jeu avec un parcours dans des niveaux scénarisés, des boss et une progression non linéaire avec des éléments qui favorisent la rejouabilité. On aura également le mode ENDLESS, spécialement designé pour le scoring, qui se joue sur des niveaux spéciaux où il faudra tout simplement survivre le plus longtemps possible. On espère pouvoir faire d’autres modes de jeu après la sortie, mais c’est un peu trop loin et incertain pour qu’on vous en parle maintenant.

NoFrag : On sait qu’un mode coopératif jusqu’à 4 joueurs est prévu, mais y aura-t-il du PvP ?

IUMTEC : NON ! Aha.. Faire un jeu en PvP c’est faire un jeu qui n’est pas PvE, ou alors il s’agit d’un très gros jeu qui mêle les deux de manière plus ou moins réussie (ce qui est souvent très difficile). Quoi qu’il en soit, on ne peut tout simplement pas se permettre de faire du PvP et ce n’est pas l’objectif de PROTOCORE. Nous, c’est PvE en co-op jusqu’à 4 joueurs et c’est déjà énorme pour un premier jeu. Après, on pourra toujours faire un mode PvP post-release, mais ça sera dans un second temps et ça sera quasiment un autre jeu.

NoFrag : Protocore se présente comme un rogue-like car les niveaux changeront à chaque nouvelle run : est-ce la seule caractéristique du titre qui le rapproche du genre ?
IUMTEC : On s’est rendu compte que faire de la génération procédurale dans un FPS, ça amène à faire des niveaux qui se ressemblent un peu tous et où il est difficile d’avoir un bon level design. On s’est aussi rendu compte que la permadeath passait moyen dans un fast FPS et qu’on avait pas assez d’éléments RPG pour vraiment exploiter le rogue-lite. Donc encore une fonctionnalité qui passe à la trappe, hélas.

NoFrag : Vous avez une date de sortie en tête ? Un prix ? Est-ce que le jeu sortira en accès anticipé ?
IUMTEC : Sortie définitive pas avant Août 2020 ! C’est tout ce qu’on peut dire.. Ah si, on peut dire aussi que PROTOCORE coûtera entre 20 et 30 pétrodollars sur PC et qu’on compte aussi développer sur console mais que ça dépendra de l’éditeur qui voudra bien de nous. Enfin, il y aura sûrement une Early vers février/mars 2020.

NoFrag : Pour rentrer dans vos frais, combien faudrait-il vendre de copies de Protocore ?
IUMTEC : Pour couvrir complètement nos dettes il faudrait vendre 30 000 copies, PC et consoles confondus. Pour vraiment pouvoir survivre dignement et commencer à dégager un salaire à la hauteur du boulot abattu chaque jour, il faudrait en vendre 100 000… Autant dire que ça va être coton.

NoFrag : La bataille Epic Games Store vs Steam fait actuellement couler beaucoup d’encre : de votre point de vue d’indépendants, vous en pensez quoi ? Protocore étant uniquement sur Steam pour le moment.
IUMTEC : On prévoit bien évidemment d’être sur l’Epic Games Store, ainsi que sur d’autres… En fait, il faut qu’on soit sur le maximum de stores possible et il n’y a pas vraiment de choix à faire, à part si Epic nous propose une exclu à 500 000 balles et une piscine en or fumé au saumon massif de Norvège. Pour le reste, on verra bien comment ça évolue mais je ne pense pas qu’Epic soit prêt à faire bouger l’énorme monopole de Steam, malheureusement. Et si c’est le cas, ça sera pour le plus grand bonheur de tout le monde, les services proposés par Steam n’ayant quasiment pas (ou que trop peu) évolué en l’espace de 10 ans côté dév… J’espère que ça va les faire se bouger le fion. EDIT : le temps que j’écrive ces lignes, Steam semble complètement abandonner les indés pour essayer de faire revenir les gros studios, donc oui, peut-être bien qu’Epic est en train de faire bouger Steam mais pas dans la bonne direction.

NoFrag : Un mot pour la fin ?
IUMTEC : *Réfléchit intensément à un dicton un peu intelligent qui résumerait toute la sagesse acquise durant ces dernières années* La vie n’est qu’un long fleuve de raclette fondue !

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