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Pedrodactyl se téléporte derrière Ruiner

Il arrive parfois qu’on tombe amoureux d’un jeu en regardant un trailer. Comme une inconnue croisée quelques minutes dans le métro, on s’imagine déjà ce que va être l’ensemble une fois accessible. Bien sûr, on a de l’expérience, on sait que cette présentation n’est qu’un avant-goût et que notre cerveau enjolive le reste, qu’un trailer n’est qu’un cours extrait, qu’on y a pas encore joué, qu’il faut se méfier. Mais malgré les années et les déceptions, le trailer de Ruiner m’a aveuglé de son cyberpunk giron, de sa chevelure électronique et de sa belle action frénétique. Maintenant que j’en ai terminé avec lui, reste alors à savoir si je me suis fait encore une fois avoir par de beaux atours.

L’homme au masque de verre

Ruiner est un beat’em all en vue isométrique. On y incarne un homme masqué et muet, dans sa quête pour retrouver son frère. Il est aidé d’une hackeuse, de diverses armes et de capacités telles que des dashes, grenades ou bouclier. Un petit côté RPG vient épaissir la sauce, avec prise de niveau et points de compétences visant à débloquer ou améliorer les dons du héros. On pourrait résumer très grossièrement Ruiner en disant que c’est un Hotline Miami du futur, en plus compliqué.

C’est tout l’habillage cyberpunk qui définit d’abord le jeu. Ruiner fait dans le cliché : ville asiatique, énorme entreprise qui dirige tout, néons, cerveaux connectés et société très divisée, on a tout le packaging habituel des univers du genre. À vous de voir si vous en avez assez où si une énième histoire de méchante corporation et de hackeurs rebelles ne vous dérange pas. On ne sait pas trop si Ruiner prend son histoire et ses protagonistes au sérieux, si c’est une fable très edgy ou si c’est une critique rigolote de cette même façon de faire, mais le résultat est de toute façon assez accessoire pour qu’il n’ait pas d’importance. Avec un peu de motivation, on peut lire les logs du jeu qui construisent un peu plus l’univers, mais là encore rien n’est très original.

Au final c’est surtout l’habillage, très rouge et sombre, qui donne ses blasons cyberpunk au jeu. Malgré tout, visuellement, rien n’est vraiment transcendant, et on va surtout retenir le design du héros, de son masque-écran et certaines des planches fixes utilisées pendant les cutscenes. L’ambiance est surtout portée par la musique, un OST electro, mais qui ne tombe pas dans la facilité. Certains morceaux sont plus glauques et violents que ce qu’on a l’habitude d’entendre et ça donne au jeu un rythme agressif.

Et il dash, dash, dash, c’est sa façon de tuer

Le jeu est divisé en trois longs niveaux, en plus du tutoriel, entrecoupé de moment dans la ville qui fait office de hub central. Chacun des niveaux est coupé en sections, se terminant la plupart du temps par un boss, version énervé et bien plus résistante des ennemis normaux. Ces derniers sont très variés et leurs capacités sont des copies de celles du héros. Concernant l’arsenal disponible, en plus de l’arme de corps à corps et de la petite mitraillette aux balles infinies du début, on peut récupérer des tas de joujoux à l’utilisation limitée. Si les armes de mêlée manquent d’originalité, les autres vont du railgun au lance-flamme en passant par le canon réfrigérant.

Le héros a plusieurs capacités qu’on peut débloquer à loisir avec les points de compétences qu’on récupère au fur et à mesure du jeu. Celles-ci sont améliorables. Par exemple, le bouclier peut renvoyer les balles ou le soin peut coûter moins d’énergie. Le dash reste la chose la plus importante dans tout ce panel de techniques disponibles. Celui-ci est enchainable plusieurs fois et surtout, en maintenant la touche, le temps se ralentit et on peut indiquer à l’aide d’un curseur les lieux où le héros va dasher, ce qui devient vite indispensable quand les ennemies et les projectiles sont trop nombreux.

Ces dashes ont un visuel et un effet sonore très réussis et c’est un plaisir de se balader sur le champ de bataille tel une guêpe surexcitée, dashant derrière un adversaire surarmé pour lui coller une mandale dans la nuque et s’échapper au loin quand celui si se retourne pour répliquer. En utilisant le ralenti, on peut même se faire plaisir et programmer plusieurs dashes, par exemple pour se déplacer en zigzag face à un adversaire à l’arme à feu un peu trop létale. Celles-ci, puisqu’on est sur le sujet du feeling, sont moins agréables à utiliser que l’attaque de mêlée et au cours de ma partie je n’ai eu tendance à m’en servir que contre les boss et comme une sorte de moyen de facilité.

Au final, l’idée vraiment intéressante avec toutes ces capacités est le fait qu’on puisse changer son build à la volée, même au milieu d’un combat. C’est aussi une façon de régler la difficulté et la rapidité du jeu : on peut tout tabler sur l’attaque et risquer la mort rapide au profit d’un temps d’exécution de l’adversaire diminué, ou s’enfermer derrière barrières et bouclier pour trucider les assaillants en sécurité. Même si bon, ce genre de technique va rapidement se révéler inadéquate tant les ennemis sont agressifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Slow Crash

Parce que si vous jouez en mode hard (recommandé par les développeurs), ou que vous n’êtes pas très doué, il va falloir accepter que le jeu soit vraiment très difficile. Ça vient de deux choses. C’est déjà bien sûr une volonté des développeurs, les adversaires tapent fort, se téléportent, ont diverses armures et sont parfois accompagnés de pièges. Certains boss peuvent vous tuer en une petite seconde, même si votre barre de vie est pleine. Tout ça est de bonne guerre, on sait à quoi s’attendre et on accepte la punition si on aime ce genre de défi. Le vrai problème c’est que la difficulté de Ruiner vient aussi de son imprécision générale.

J’ai fait le jeu à la manette, ce qui m’a permis d’être plus efficace dans mes déplacements, mais ce qui a rendu la visée difficile. Si j’avais fait le jeu avec un clavier et une souris, le problème ce serait inversé. Il est très difficile de toucher des adversaires en crises d’épilepsie permanente avec les armes à feu, mais j’ai réussi à m’habituer et dans les dernières heures du jeu, je suis devenu un expert. C’est la même chose avec le dash ralenti, placer le curseur au bon endroit est une opération délicate et je n’ai jamais réussi à être pleinement satisfait de moi-même.

A noter qu’un patch corrige quelques-uns des problèmes évoqués dans cette partie, notamment la précision des armes et la lisibilité du jeu.

Le problème c’est que la proportion aurait dû être inversée, les toutes premières heures aurait dû me suffire pour maîtriser la chose. À la place, j’ai vécu de longues périodes où je mourrais cinquante fois de suite contre le même boss, parce que justement je n’étais pas assez précis dans mes actions. ce manque d’accessibilité est renforcé par des problèmes de lisibilité. Les projectiles ne sont pas marqué et le manque de lumière passe de parti pris esthétique à une grosse gêne quand on vient de se faire démonter la tronche à cause d’un coup de fusil à pompe qu’on n’a pas bien vu. La position du héros est aussi un challenge en elle-même, on se rend parfois compte, trop tard, qu’on est dos à l’ennemi et c’est d’autant plus dommage qu’on ne se retourne pas instantanément.

Pour finir d’achever Ruiner, rajoutons que le rythme est très mal maîtrisé, que le dernier niveau est sans doute le passage le moins intéressant en ce qui concerne les affrontements et que certaines choses semblent avoir été mise dans le jeu sans aucune raison. Il y a quelques quêtes secondaires sans aucun intérêt autre qu’essayer d’apporter de la diversité et la plupart d’entre elles sont résolues sans faire quasiment aucun effort. Il y a aussi beaucoup de redite dans les derniers moments, on a notamment le droit au même boss 5 fois en l’espace d’une heure trente.

Se ruiner la santé

Alors quoi ? Ruiner est un jeu de merde ? Tous ses défauts commencent à faire pencher la balance du côté de la médiocrité non ? Sauf que tout ça n’a aucun rapport avec mon expérience du jeu, et j’irais même plus loin en disant que la plupart de ces défauts se sont transformés en qualité avec le temps. Le héros se contrôle avec difficulté, mais toutes les petites imprécisions, tous les petits trucs qui ont fait que j’ai un peu ragé au début sont venus donner à mon expérience des sensations qui n’auraient pas été possibles sans ça. Le héros de Ruiner une fois maîtrisé devient plus lourd, plus vivant, on ressent plus ce qui se passe à l’écran.

Alors là je suppose que vous êtes en train de vous dire « oula il part un peu en couille le Pedrodactyl là, est-ce que ça serait pas un peu de la branlette intellectuelle tout ça ? Est-ce que de toute façon les développeurs avaient vraiment prévu ce que tu as ressenti ? Le patch qu’ils viennent de sortir prouve ce qu’on veut dire de toute façon. »

Et je vous répondrais que si vous avez sans doute raison en ce qui concerne la branlette intellectuelle, je veux juste dire qu’un jeu qui a des défauts sur le papier peut quand même être très agréable à jouer. Et puis peu importe les intentions des développeurs, le résultat est là. Ruiner a des tas de problèmes (plus ou moins corrigé par ce fameux patch), mais je m’en suis foutu, j’ai adoré y jouer. L’affrontement de certains boss peuvent être rendu triviaux par l’utilisation de la stun grenade, j’ai arrêté de l’utiliser. Je me suis forcé à apprendre à contrôler le héros et avec l’habitude j’ai réussi à dépasser l’imprécision, j’ai réussi à devenir précis. Je me suis lancé des défis à moi-même, pas seulement par goût du challenge, mais parce que les mécaniques de Ruiner donnent envie d’expérimenter.

J’ai pris le jeu comme un jeu de combat, au début on galère et les combos ne veulent pas sortir, mais avec du temps et de la patience, cette difficulté est surpassée, le contrôle des personnages devient une seconde nature et le jeu devient bien meilleur que si on n’avait pas eu à surmonter cette difficulté. Le problème ici bien sûr, c’est qu’une fois qu’on est devenu doué, on a déjà dépassé la moitié de la durée de vie de Ruiner (8 heures pour moi hard). Alors oui j’ai l’air d’un con avec mes grands discours théoriques, mais Ruiner demandait qu’on en fasse un.

 

Player fun : 98%

Ruiner mérite qu’on s’y attarde pour peu qu’on n’ait pas peur de sa difficulté. Le décrire en quelques mots ne lui fait pas honneur, c’est un jeu qui s’écoute et se ressent, manette en main, un jeu fait pour l’expérimentation et qui est plus que la somme de ces défauts. C’est le genre de jeu qu’il ne faut pas trop lâcher trop longtemps, au risque de devoir réapprendre à son cerveau et à ses muscles la coordination nécessaire à son maniement. Peu importe si c’est fait exprès ou pas, si on est un peu courageux, on trouve dans Ruiner un défoulement tout ce qu’il y a de plus harmonieux. Je suis en tout cas heureux de ne pas avoir à lui donner une note.

 

Pedrodactyl: Docteur en philosophie et arrogant personnage cultivé, il use de mots compliqués que seul ton grand-père qui s’endort devant des Chiffres et des Lettres connaît. Pedrodactyl dit à qui veut l’entendre qu’il est un joueur asocial et solitaire de S.T.A.L.K.E.R. ou DOOM mais il ne trompe personne, on sait tous qu’il cherche à passer pro sur Paladins.
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