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[PREVIEW] Bodycam : un concept vendu comme un jeu

Lancée en avril 2023 avec le projet Unrecord, la mode des bodycam FPS a fait des émules. Si on a pu voir apparaître des jeux d’horreur de-ci de-là reprenant le même concept, en septembre dernier, c’est Bodycam qui avait le plus fait parler de lui. Semblant jouer de sa ressemblance avec Unrecord, il s’annonçait comme son pendant multijoueur, et disponible presque immédiatement. Finalement, compte tenu de l’énorme engouement suscité, les deux jeunes développeurs français du studio Reissad décidaient d’étoffer un peu leur concept, d’agrandir leur équipe et de repousser la sortie. En janvier dernier, lors des playtests, nous avions même pu les interviewer et ainsi avoir un peu plus de précisions sur leurs intentions. Si le concept était très alléchant, il manquait tout de même des composantes importantes : un level design et un game design. Malheureusement, cinq mois après, pour la sortie en accès anticipé, on n’a pas l’impression que le projet ait beaucoup évolué.

Genre : Bodycam FPS | Développeur : Reissad Studio | Éditeur : Reissad Studio | Plateforme : Steam | Prix : 33,32 € | Configuration recommandée : Ryzen 7 3800X / Core i7-10700K, 16 Go de RAM, RX 6600 XT  / RTX 3060 | Langues : Anglais | Date de sortie en accès anticipé : 12/06/2024 | Durée de vie : deux ou trois heures avant de se lasser

Test effectué sur une version fournie par le développeur.

Illusionnisme et réalisme

Cela ne vous aura pas échappé, Bodycam mise sur le réalisme. C’est même du photoréalisme, principalement basé sur la technologie de photogrammétrie, dont le principe est justement de prendre des photos dans le monde réel, pour en faire des textures à appliquer sur des modèles 3D. Une astuce supplémentaire intervient avec l’effet caméra embarquée, qui permet de salir l’image afin de la faire ressembler à ce que sortent les véritables appareils, notamment ceux des policiers. On n’a donc pas un rendu tel qu’on pourrait le voir en vrai, mais tel qu’on pourrait le voir sur une diffusion d’une caméra embarquée. D’ailleurs, les visages de tous les personnages sont floutés, procédé assez malin pour coller aux vidéos réelles et simplifier le travail sur une partie du corps facilement ratable, comme on peut le voir dans les menus. L’immersion est d’autant plus renforcée par un sound design très cohérent : les coups de feu sont très forts et saturent, afin, encore une fois, de simuler le rendu d’une bodycam. Les ragdolls, lors de la mort des adversaires, sont aussi très réussies. Les corps dévalent les escaliers ou les rochers de façon très crédible. Du côté des armes, on voit qu’un grand soin a été apporté à l’animation, ce qui renforce également l’immersion. Le feedback est très prononcé et donne un super feeling, qu’on rêverait avoir dans beaucoup de milsim, Arma 3 en tête. Les tirs provoquent de violents mouvements difficiles à maîtriser, une sorte de chaos que l’on imagine parfaitement pouvoir être rencontré dans une situation aussi extrême.

Le QWOP du FPS

Bien que Bodycam soit un FPS, la prise en main n’est pas très aisée à appréhender. On a un peu l’impression d’avoir affaire à une sorte de QWOP en 3D, sans vraiment comprendre pourquoi notre personnage penche la tête, ramène son arme contre lui ou met trois plombes à se relever. Après quelques dizaines de minutes, on commence à un peu mieux le maîtriser et les sensations sont plutôt bonnes. Pour le coup, ces mouvements ne sont pas du tout réalistes, mais viennent apporter un peu de lourdeur et un sentiment de puissance lorsque l’on vient à tirer. On se demande donc bien pourquoi on peut trouver une carte avec plein de recoins et de passages exigus, particulièrement inadaptée aux mouvements proposés. Peut-être est-ce parce que c’est l’une des deux seules cartes vraiment conçues par les développeurs du studio ?

Le game design, ce grand absent

Eh oui, on arrive aux limites de ce que propose Bodycam. Actuellement, sur les cinq cartes proposées, trois proviennent directement du magasin d’assets (Russian Building, Worn House et Oil Rig). Le travail a principalement été d’ajouter des éléments de décor et de positionner de petites structures, afin de faire plus réaliste et tenter de bidouiller la map pour en faire quelque chose d’exploitable, comme on peut l’entendre lors de l’interview. Comme Airsoft House, Tumblewood, une carte en forêt, a peut-être entièrement été développée par Reissad. Manque de bol, elle est complètement naze. Trop vaste, illisible et sans choke point. Même après sa modification récente, c’est sans doute la carte la plus inutile. La plateforme pétrolière, quant à elle, beaucoup trop grande, est une autre preuve du manque de vision de l’équipe. En effet, à quoi cela sert-il de proposer quatre ou cinq étages pour un jeu en 5v5 dans lequel on meurt en une ou deux balles ? Restent donc Russian Building et Worn House, toutes deux assez restreintes et plutôt agréables à jouer, mais qu’ils n’ont pas créées. On ressent un cruel manque de level design. D’après ce que l’on a compris, il semblerait pourtant qu’un level designer ait fait partie de l’équipe, mais celui-ci a quitté le studio la veille de la sortie en accès anticipé, a priori pour divergence d’opinions.

Il y a actuellement trois modes de jeu. Tout d’abord, le bête deathmatch, qui sert plus d’échauffement qu’autre chose, puisque les respawn sont aléatoires. Il arrive donc régulièrement d’apparaître face à un ennemi déjà prêt à tirer, et donc de décéder immédiatement. Chouette. Vient ensuite le team deathmatch, très classique, mais efficace. Parfois un peu long quand seuls deux adversaires ont survécu, et qu’ils tournent silencieusement chacun de leur côté de la map. Enfin, les développeurs ont intégré le mode body bomb lors de la sortie en accès anticipé. Une des deux équipes possède une bombe, qu’elle peut activer dès le démarrage de la manche. Il faudra ensuite la défendre jusqu’à l’explosion, tandis que les adversaires tenteront de la désamorcer. Autant vous dire qu’on a rarement vu un principe aussi con. À niveau égal, l’équipe en possession de la bombe est quasiment sûre de gagner, puisqu’il suffit de camper la zone de spawn. C’est peut-être une tentative d’innover et ne pas se retrouver à reprendre le principe de Counter-Strike, c’est-à-dire d’avoir des zones spécifiques dans lesquelles on peut poser la bombe. Malheureusement, on ne peut pas dire que ce soit une réussite.

Performances et finitions

C’est assez classique avec l’Unreal Engine 5 : il faut une carte graphique récente pour que ça fonctionne à peu près. Bodycam ne déroge pas à la règle, en mettant de côté pas mal de joueurs. Comme d’habitude avec les accès anticipés, on ne va pas trop critiquer ce point, car l’optimisation est souvent un aspect travaillé en fin de projet. Par contre, on peut tout de même pester contre cette UI à la fois horrible, pas pratique et très buggée. Il va falloir vous armer de patience si, comme moi, le jeu se lance en fenêtré à une résolution inférieure à celle de votre écran : le bouton de retour ne fonctionne qu’une fois sur dix. Ce n’est certainement pas très spectaculaire, mais il va falloir retravailler tout ça…

Et maintenant ?

Le lancement a été une franche réussite : plus de 16 000 joueurs simultané la nuit du lancement et 11 000 évaluations en une semaine. Même si elles ne sont pas toutes positives (autour de 71 %), la plupart sont aveuglés par le gunplay très réussi. Le communautarisme doit aussi pas mal aider, car j’ai principalement rencontré des français lors de mes parties. D’autre part, même s’il n’est pas l’instigateur du mouvement, c’est bien Bodycam qui arrive le premier sur le marché. Il reste donc à voir si les développeurs honoreront leurs promesses, matérialisées par une roadmap mise en ligne quelques jours avant la sortie. On devrait donc voir arriver de nouvelles cartes avant la fin du mois, et on aimerait bien qu’elles soient originales, tant qu’à faire. Espérons qu’ils aient vraiment bossé sur le level design. Du côté des modes de jeu, il faudra attendre le troisième trimestre avec un mode zombie, ce qui ne semble assez étrange, vu l’orientation compétitive du projet initial. Mais si ça se trouve, cela se révélera beaucoup plus intéressant que le reste ! Et sinon, de nouvelles armes et de nouveaux skins sont prévus, alors tout est évidemment pardonné.

Rendez-vous dans un an

En arrivant le premier sur le marché, Bodycam frappe un grand coup. Son concept de caméra embarquée, visuellement très impressionnant par son réalisme, convainc aisément. En plus, le gunfeel est très percutant et jouissif, et les mouvements, bien qu’un peu durs à appréhender, sont assez sympas avec un peu d’entraînement. Malheureusement, pour l’instant, il n’y a rien de plus, ce qui fait un peu mal au cul pour le prix. Seules deux cartes issues du store Unreal sont réellement exploitables et uniquement en team deathmatch, car le mode body bomb est aussi équilibré qu’une brique dans une machine à laver. Les cartes entièrement développées en interne ne présentent aucun intérêt et montrent qu’il y a un gros manque de compétences du côté level design et game design. Maintenant que le studio a amassé un petit pactole avec son lancement réussi, il serait temps d’embaucher des gens compétents pour mettre en œuvre leur vision, en plus des très bons animateurs qu’ils ont déjà. En attendant, on ne vous conseille franchement pas de vous lancer dans l’aventure, mais plutôt de patienter jusqu’à l’arrivée de vrai contenu.

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