On a déjà évoqué plusieurs fois (1,2) Fear The Wolves, le battle royale des développeurs de Survarium, qui sera édité par Focus Interactive. Enfin, plus totalement. Webedia, le géant du gaming, rentre dans la partie comme co-éditeur du jeu. Quand le mélange des genres, qui ne pose pas de problèmes pour certains, s’invite de nouveau à la table.

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Webedia c’est quoi dans le jeu vidéo en France ? C’est un monstre qui regroupe Jeuxvideo.com, Millenium, IGN France, LeStream et PureBreak jeuxactu. La fine fleur du journalisme vidéoludique, quoi. Si l’on espère que ces relations n’ont aucune incidence sur la ligne éditoriale des différents sites, il y a quand même de quoi soulever la question de l’indépendance des articles quand il s’agira de tester ou streamer le jeu de la maison-mère. Ils ont la possibilité de frapper par 3 armes différentes : les influenceurs, l’actualité du jeu vidéo et le sport électronique.

  1. L’hégémonie de Webedia sur Youtube et Twitch

Prenez par exemple LeStream, regroupement de l’élite française de Twitch, avec – entre autres – Cyprien, Squeezie, Laink et Terracid ou encore Jiraya. Aujourd’hui, les campagnes de promotion autour du jeu vidéo passent obligatoirement par le recours aux influenceurs, avec une pluie d’opérations spéciales, de concours, de voyages offerts pour s’offrir la visibilité de leurs chaînes. Il devient même maintenant parfois difficile de savoir si une vidéo est sponsorisée (c’est de la pub, ne vous laissez par berner par le terme).

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Tenez, si vous vous posez la question, la liste des influenceurs en partenariat avec le géant est ici. Vous la voyez la force de frappe sur Youtube ? Car plus que la marque LeStream essentiellement présente sur Twitch, Webedia est aussi la régie publicitaire de nombreux Youtubeurs via sa société Mixicom ou, plus simplement, l’agent de nombreux influenceurs via sa société Talent Web. Vous pouvez plus facilement vous en rendre compte en allant voir l’étude de Mathieu Fiorenti sur les MCN (Multi-Channel Networks), montrant que Webedia est loin devant, avec par exemple 27 % de la part du gâteau sur le secteur du gaming.

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Mais l’entreprise ne se limite pas à notre petit territoire. Elle est aussi présente en Allemagne et en Espagne où là aussi, elle gère quelques sites traitant du jeu vidéo. Ce n’est pas que le vieux continent : c’est aussi l’Amérique latine (Brésil, Colombie, Argentine et Chili) et les USA avec 3BlackDot, une société qui gère 9000 « talents » du gaming. La motivation de Webedia, ce n’est pas l’art du jeu vidéo mais l’argent, comme l’expliquait encore Marc Ladreit de Lacharrière, qui veut augmenter le chiffre d’affaires de son entreprise en augmentant sa présence aux USA et en participant à la production de contenu. Normal pour une entreprise.

2. L’hégémonie de Webedia sur l’actualité du jeu vidéo

Toutes activités confondues (gaming, cinéma…), Webedia rassemble 30 millions de visiteurs uniques chaque mois en France et plus de 180 millions dans le monde. Concernant l’aspect jeu vidéo, la flotte de site en ligne détenue par Webedia possède le plus fort traffic, avec jeuxvideo.com en tête d’affiche mais aussi Millenium et Jeux Actu dans le Top 10. Ils ont tous recours aux articles sponsorisés de manière plus ou moins discrète. D’un côté, vous avez PureBreak Jeuxactu qui n’est rien d’autre qu’un catalogue de pub. C’est un secret de polichinelle car cela figure clairement dans la rubrique A propos du site :

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De l’autre côté, plus discrètement jeuxvideo.com est avant tout un site d’information, qui n’a pas pour fonction première de valoriser les produits. Néanmoins, vous pouvez toujours vous offrir la visibilité du site en passant par ici. Plusieurs « packs » sont disponibles, de la formule « Get in and Shine » au pack « Expand your game » pour vous permettre de « maximiser le reach sur vos cibles via l’activation de 3 leviers complémentaires lors de la sortie d’un de vos jeux ». Bref, de la pub quoi. Ce n’est pas une pratique propre à la flotte Webedia, souvenez-vous par exemple quand le test de Fallout 4 chez les Inrocks a été réalisé par Bethesda, ça fait sourire et soupirer en même temps.

Loin de moi l’idée de remettre en cause le travail et l’intégrité de nos confrères, mais je pense sincèrement que le problème mérite vraiment d’être soulevé, et ce n’est pas Cédric Siré, vice-président de Webedia qui va me faire mentir :

« Mais à la différence de sociétés qui vendent du conseil et de la théorie, nous sommes aussi notre propre démonstrateur car nous maîtrisons les audiences, les datas et les espaces publicitaires. »

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3. L’hégémonie de Webedia dans l’esport

N’oublions pas non plus que l’entreprise est maintenant un monstre dans l’esport, avec l’acquisition de l’ESWC et de la structure Millenium, mais aussi de Toornament. Plus qu’organisateur, Webedia est aussi manager avec une agence de gestion de talents esportif, Bang Bang ManagementIls sont capables d’organiser leur propre évènement (avec leurs propres joueurs) et sont même assez forts pour se faire financer par de l’argent public, comme récemment quand la région Ile-de-France a financé à hauteur de 200 000 euros un tournoi e-sport. Tout le monde en a parlé, sauf jeuxvideo.com. On peut imaginer facilement que, vu le succès du battle royale dans la scène du sport électronique (Fortnite, PUBG), cela devrait être pratique pour faire la même chose sur Fear The Wolves. Oh, et n’y voyez pas le mal quand jeuxvideo.com ou IGN font une news sur l’évolution de Toornament, qui vient de faire rentrer le battle royale sur sa plate-forme, il faut bien préparer l’avenir.

Quoi de mieux que d’être opportuniste en surfant sur la vague du battle royale et en associant son nom et – surtout – sa grosse machine à promotion qu’il y a derrière : opés spés, articles sponsorisés, exclusivités… Il était génial cet évènement de streaming qui a regroupé plus de 540 000 spectateurs uniques au Casino Barrière ! C’est toujours mieux de promouvoir les vrais jeux d’argent que l’ouverture de caisses sur CS:GO. Devinez qui détient en partie (à 40%) le groupe du Casino Barrière ? Fimalac, la société à laquelle appartient Webedia. Et ce n’est pas fini, un nouvel évènement est prévu ce mois-ci pour mettre à nouveau Fortnite à l’honneur.

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opera 2018 05 03 18 39 20Clairement, ils sont venus SPÉCIALEMENT pour le tournoi Fortnite…

4. L’ombre du Doritos gate

C’est le même débat qui revient quelques années après le Doritos gate et la fameuse photo du compte Twitter de Julien Chièze, qui avait provoqué un petit émoi dans le monde de la presse vidéoludique, exposant au grand jour la relation entre éditeur (ici Sony) et presse spécialisée. Si l’histoire est maintenant vieille, ce n’est pas la première fois que la question se pose : je vous invite à revoir l’émission d’arrêt sur image à laquelle participait Julien Chièze (Gameblog), Ivan Gaudé (Canard PC), Usul (JVC) et Gaël Fouquet (Gamekult) suite au Doritos Gate. Loin de moi l’idée de faire la jeune vierge effarouchée, ce genre de relation existe dans tous les domaines artistiques, comme le cinéma. On ne peut pas s’indigner d’un verre bu avec le chargé presse de chez Sony, car si les journalistes ont besoin d’eux, l’inverse est aussi vrai.

Ici, la situation est encore plus délicate, l’éditeur et la presse étant la seule et même personne. Imaginez la même photo avec les sites appartenant au géant, et l’attaché de presse de Webedia. Ce serait curieux de boire un verre avec son patron qui vient présenter son nouveau jeu. Pour l’instant silence radio du côté des concernés, le problème ne semble choquer personne sauf chez les indépendants, comme d’habitude. Ce n’est que la première intrusion du géant dans l’édition, et la question du mélange de genres presse/éditeur va revenir à chaque nouveau jeu qui sera édité par Webedia.

5. Mon entretien avec Cédric Page, directeur gaming chez Webedia

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J’ai eu l’opportunité de m’entretenir par téléphone avec Cédric Page, fondateur de Millenium et directeur général gaming à Webedia. J’ai soulevé les même questions qu’au cours de cette article, et il m’a assuré de l’indépendance des rédactions que j’ai cité précédemment, précisant même par exemple que :

« Le rédacteur en chef de jeuxvideo.com a plus de pression quand il doit noter un Call of Duty que lorsqu’il devra donner une note à Fear the Wolves »

Du côté des influenceurs, évidemment, ils seront aussi de la partie pour la promotion. Il m’a assuré la totale indépendance des divers Youtubeurs/Streamers. Webedia n’impose aucun jeu mais propose à ses influenceurs de réaliser une « opération spéciale » si le jeu les intéresse. Là encore, il m’a assuré que la liberté d’expression est totalement libre chez ces derniers. Malgré son rôle de co-éditeur de Fear the Wolves, Webedia n’intervient pas du tout dans le développement et n’aura qu’un rôle marketing pour la promotion de celui-ci à travers l’ensemble des moyens disponibles que j’ai pu décrire précédemment.

J’espère que l’avenir lui donnera raison et que mes inquiétudes se révéleront ridicules.

Enfin, j’ai contacté par mail Frédéric ‘Rivaol’ Goyon, rédacteur en chef de jeuxvideo.com pour l’interroger sur cette situation et sur son avis quant à cette dangereuse proximité, et je n’ai eu aucune réponse de sa part. De la même manière, j’ai essayé de contacter en vain plusieurs influenceurs gérés par Webedia, mais là aussi, on se heurte à un mur de silence.

6. Pour conclure…

Webedia est devenu un monstre centralisant tous les pouvoirs permettant de promouvoir des jeux et cette première intrusion dans le monde de l’édition n’est qu’un suite logique à l’empire que Webedia souhaite construire dans le domaine du jeu vidéo. Néanmoins, cela soulève beaucoup de questions et de problèmes, et j’attends avec impatience la sortie de Fear The Wolves pour voir la machine en action. Ou pas, car je suis peut être beaucoup trop cynique sur cette situation.

Enfin, n’y voyez pas là un nouveau Webedia-bashing ordinaire avec les théories du complot habituelles, car si demain TF1 décide de devenir éditeur de jeux vidéo, je poserai exactement la même question vis à vis de Gamekult et Les Numériques.

 

 

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21 Commentaires


  1. Super article !

    Du coup il n’y a plus rien a attendre de la presse en ligne site specialisée…

  2. Excellente lecture.

    On notera le silence radio total sur ce cas, y compris sur les sites n’appartenant pas à Webedia : ce mélange des genres ne dérange personne, même pas les chers journalistes habituellement si prompt à réagir à la moindre polémique. Étonnant.

  3. Ils se cachent derrière le sophisme suivant :

    « Notre société ne fait peser aucune pression sur ses journalistes. Donc nos journalistes sont libres d’écrire ce qu’ils veulent. »

    Si la première partie de la phrase est peut-être vraie, la seconde est trompeuse. On peut être libre d’écrire ce qu’on veut, tout en étant influencé par des raisons indirectes. Quand un salarié de Webedia parle d’un jeu co-édité par webedia, même si ses patrons lui donnent carte blanche, son opinion sera influencée par son appartenance au groupe. Il y a quantité de littérature qui documente ces phénomènes sociologique et psychologique.

    Il serait donc plus juste d’écrire :

    « Notre société ne fait peser aucune pression sur ses journalistes. Donc nos journalistes sont libres d’écrire ce qu’ils veulent, mais on ne peut pas les empêcher d’être influencés par leur appartenance à notre société. »

    Ils sont libres, mais influencés.

  4. Wahou vraiment le genre d’article de fond que j’adore. Merci d’avoir pris le temps de décrire la situation, c’est franchement pas terrible leur truc là…

    PS : J’ai déjà entendu le Joueur du Grenier dire « je suis pas chez Webedia », il joue sur les mots ou sa situation est particulière par rapport à d’autres ?

  5. Nickel l’article!

    « Enfin, j’ai contacté par mail Frédéric ‘Rivaol’ Goyon, rédacteur en chef de jeuxvideo.com pour l’interroger sur cette situation et sur son avis quant à cette dangereuse proximité, et je n’ai eu aucune réponse de sa part. De la même manière, j’ai essayé de contacter en vain plusieurs influenceurs gérés par Webedia, mais là aussi, on se heurte à un mur de silence. »
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  6. Wahou vraiment le genre d’article de fond que j’adore. Merci d’avoir pris le temps de décrire la situation, c’est franchement pas terrible leur truc là…

    PS : J’ai déjà entendu le Joueur du Grenier dire « je suis pas chez Webedia », il joue sur les mots ou sa situation est particulière par rapport à d’autres ?

    Dans son cas, il doit dépendre uniquement de la régie publicitaire et ne participe pas à des « opé spé »

  7. Quand Pause Process faisait les vidéos pour jvc (et ce sont pas les seuls) ils arrivaient pas a se faire payer non plus, il y en a pas mal chez Nesblog qui ont été dans la même situation qu’eux.

  8. La raison pour laquelle je boycott les événements (promotionnels) français mis en avant par Webmedia.
    Souvent, cela dégouline de trop et est très mal caché.

  9. Merci nounoursss pour cet article. La chasse aux avis indépendants s’annonce plus délicate que jamais.

  10. Wahou vraiment le genre d’article de fond que j’adore. Merci d’avoir pris le temps de décrire la situation, c’est franchement pas terrible leur truc là…

    PS : J’ai déjà entendu le Joueur du Grenier dire « je suis pas chez Webedia », il joue sur les mots ou sa situation est particulière par rapport à d’autres ?

    Dans son cas, il doit dépendre uniquement de la régie publicitaire et ne participe pas à des « opé spé »

    [youtube]https://youtu.be/2w5VfTeVgiY?t=766[/youtube]

    edit: j’ai tout cassé les balises, démerdez-vous.

  11. Oui, voilà il dépend d’une régie publicitaire appartenant à Webedia.

  12. Vous faites dans le canardPC X Mediapart maintenant ? le but de cet article c’est de se faire mousser et passer pour des intègres en enfoncant des portes ouvertes ? a l’epoque factornews se moquait de l’operation de comm de gameblog avec heavy rain je pouvais comprendre *a l’epoque* mais a un moment on comprends quand on se met a la place de l' »accusé ». Mais quand je vois de plus en plus de sites & autres podcasteurs en mode pere la morale qui font les investigateurs j’ai un toujours peu un arriere gout legerement dégueulasse.

    Quand je vois ces trucs ca me choque plus je suis plus en mode « et alors » ? y a toujours un moyen de se faire une place, ou trouver un avis objectif, faut trouver sa niche quand on a une bonne perception du paysage on a moins tendance a se faire enfler.

    Edit : Je rajoute que le fait qu’une boite reprenne qui brasse des Eurodollars le jeu des dev de Survarium, y a quand même un coté vachement positif, ils trainaient la patte sur Survarium et c’etait un peu chiant de voir le truc ramer alors qu’il y avait un potentiel derriere.

  13. J’étais passé à côté de l’article, d’un autre côté avec Webedia je savais à quoi m’attendre …

    En tout cas excellent article. On peut comparer ça à la presse « libre » soit disant neutre qui bouffe tous les mercredi avec la classe politique et dont les patrons ont leur propre multinationale. Les rédacteurs admettent eux même qu’ils ont des comptes à rendre à leur employeur et qu’ils trouvent ça normal de défendre les intérêts de leur patron. Les médias sont le plus souvent des hypocrites qui font passer le « libéralisme de presse » pour de la « liberté de presse ».

    … Quand je vois ces trucs ca me choque plus je suis plus en mode « et alors » ?

    C’est je pense le plus inquiétant, quand on trouve ça normal. Es-ce normal d’avoir des « avantages » lorsque l’on est chargé d’évaluer la qualité d’un produit ? ça brise pas le principe de neutralité ? C’est un peu comme dire que les pots-de-vin finalement c’est une bonne chose …
    Je dirais plutôt qu’au fond, dans ton cas, tu n’as pas vraiment le choix. Il est très difficile d’échapper à ce système aujourd’hui.

    Je finirais sur une citation de JOHN SWINTON de 1880 :
     » Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! « 

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