AngryGermanKidQuand je rentre le soir après une journée de boulot difficile, se détendre n’est pas une mince affaire. Une bière ? Ça fait grossir. Une cigarette ? J’essaie de ne plus fumer. Tuer ? Pourquoi pas. C’est ainsi que pendant plusieurs années, l’un de mes jeux privilégiés pour tuer, tuer, tuer était Counter-Strike. Le matchmaking était rapide, efficace, pas besoin de se prendre la tête, ni forcément besoin de communiquer si le cœur n’y était pas. Ma principale raison de lancer le jeu était la détente par la violence. 

Mais…entre deux russes rushant B, Kévin le PGM de 12ans et les insultes, est-ce que je prenais réellement du plaisir ? Avais-je, finalement, le sentiment de me détendre en jouant ? Après une défaite, après le départ d’un coéquipier au milieu du match, ou tout simplement après me faire tuer ? Est-ce qu’au milieu de toute cette frustration et de cette rage, je pouvais y trouver mon compte ?

Aucune idée. Alors en bon scientifique, j’ai tapé le mot “Counter-Strike” sur Pubmed (ie, le moteur de recherche pour la science) dans l’espoir de trouver une réponse à ma question. Et bien, devinez quoi ? J’ai trouvé ma réponse.

 

Contexte

L’article s’intitule “Positive Emotions Associated with Counter-Strike Game playing”, publié en 2012 dans Games for Health Journal par des scientifiques australiens. Voilà le genre de recherche payée par les impôts australiens. Bref, ces braves gens se sont posés la même question que moi :

“Prend-t-on du plaisir en jouant à Counter-Strike ?”

Méthode

La méthode est assez simple: regrouper 33 joueurs réguliers (1000-2000h de jeu) de CS, âgés entre 18 et 30 ans, et enregistrer leurs réponses électroencéphalographiques à l’aide d’un casque EEG dans plusieurs conditions :

  • Assis devant un mur blanc
  • Assis avec les mains sur le clavier/souris
  • Assis avec une bande sonore de Counter-Strike (tirs, explosions…)
  • Assis devant un écran et une vidéo de Counter-Strike
  • Assis en jouant à Counter-Strike

Notons le bon goût de l’équipe de recherche ayant choisi la mise à disposition d’un clavier et d’une souris plutôt que d’une manette. L’étude semble donc être déjà d’une grande qualité intrinsèque qu’aucun autre argument d’ordre scientifique ne pourrait remettre en cause.

Leur analyse s’appuie sur une réponse caractéristique identifiable sur les tracés d’EEG, appelée AI (Index Asymétrique) et permettant d’identifier des réponses émotionnelles positives et négatives. Vous devinez sûrement le principe : on va regarder l’évolution de cette réponse AI dans les différentes conditions contrôlées, et surtout pendant un match de Counter-Strike. En particulier, pendant deux événements: “tuer” et “être tué”. Si l’AI augmente, le sentiment émotionnel est positif, s’il baisse, il est négatif.

Au 5e round, puis 30 minutes après la fin de la partie, les sujets ont répondu à un questionnaire sur leur état émotionnel en notant leur bonheur, colère et excitation sur une échelle allant de 1 à 5. Concernant le jeu en lui-même, les joueurs avaient le choix de la map (probablement Dust2 à 99%) et du skin du personnage (on était encore sous CS 1.6).

Résultats

Je vous invite, avant de découvrir les résultats, à analyser votre propre cas. Souvenez-vous de vos parties récentes, et posez-vous la même question qu’au début de l’article : “Prend-t-on du plaisir en jouant à Counter-Strike ?”. Analysez votre état émotionnel selon les trois critères précédents : bonheur, colère, excitation, puis notez de 1 à 5 chaque état avant, pendant et après le match. On verra si vous êtes dans la moyenne, ou si vous êtes un psychopathe.

Je ne vais pas parler du détail des analyses et des formules mathématiques utilisées en EEG, car c’est éloigné de mon domaine de compétences. Je me contenterai de commenter les résultats bruts de l’étude, sans porter aucun jugement scientifique sur la méthode.

Du point de vue encéphalographique, les sujets montrent un état émotionnel positif plus important après avoir joué un match de Counter-Strike. Les autres conditions contrôlées ne révèlent pas de différence significative. De plus, l’EEG montre que “tuer” provoque un état émotionnel positif alors que ”être tué”  provoque un état émotionnel négatif. Quelle surprise !

Figure1 CS
Figure 1. Évolution de l’index asymétrique (AI) en EEG avant et après les deux évènements Tuer et Être tué.

De manière intéressante, l’action de tuer se précède d’un état négatif probablement dû à la tension de l’échange, la peur de ne pas tuer l’adversaire. Alors qu’être tué se précède en moyenne d’un état positif, probablement car le joueur n’était pas conscient dans la majorité des cas qu’il allait mourir – bande de noobs, le placement c’est 70 % à CS (Fig. 1).

Figure2 CS
Figure 2. Moyenne de la note au questionnaire avant, pendant et après le jeu.

Figure3 CS

 

Au niveau des questionnaires sur l’état émotionnel des joueurs, si les 3 critères (bonheur, colère et excitation) sont stables avant de jouer, ils augmentent pendant le jeu. En moyenne, tous les joueurs ressentent autant de bonheur, de colère et d’excitation pendant le jeu. Mais après la partie, si la colère et l’excitation reviennent à des valeurs normales semblables à l’avant-jeu, uniquement le bonheur ressenti persiste (Fig. 2).

 

Conclusion

La conclusion des auteurs est simple : jouer à un jeu vidéo violent comme Counter-Strike provoque un cocktail de colère, d’excitation et de bonheur. Les trois se mélangent pendant le jeu, mais uniquement la dernière persiste après la fin de votre partie. En moyenne, une partie de Counter-Strike se traduit par plus d’émotions positives que négatives.

Néanmoins, ces conclusions doivent être nuancées. Les auteurs précisent que dans cette étude, les sujets sont des joueurs réguliers de CS. Il est facile d’imaginer qu’un joueur console arrivant sur PC ou qu’un noob découvrant le jeu n’ait pas le même état émotionnel que des joueurs aguerris.

Ce bonheur persistant après le jeu pourrait être une des raisons de son succès. On y revient quand même, malgré les défaites, la rage et les souris qui traversent les salons. Cette conclusion logique pourrait probablement s’appliquer à un bon nombre de jeux. Au hasard, PUBG, le succès du moment. Néanmoins, cette étude et ces résultats doivent s’appliquer à beaucoup d’autres cas : un sport, les échecs, la couture ou lire les commentaires de Nofrag.

Sinon, prenez quelques cours de gestion de la colère :

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8 Commentaires


  1. Jolie tentative, ça manque encore un peu d’étoile au dessus des graphs avec des (p=0.037, Wilcoxon Signed-Rank).

  2. Je n’arrive pas à jouer plus d’une heure….
    En fait je n’y joue presque jamais à cause d’insurgency…

  3. Très intéressant, merci ! Pour ce qui est de PUBG, ou tout autre jeu comme DayZ, je pense que la phase de loot procure également du bonheur, et pas seulement le fait de tuer, tuer, tuer.
    Et pour les jeux type CS, R6S, et peut-être même BF, la condition du kill peut apporter un niveau de bonheur plus ou moins important : réaliser une action exceptionnelle avec son skill, « minder » l’adversaire, ou même faire un gros moule shot procure un plaisir certainement plus important qu’un affrontement plus classique…

  4. Une bière ? Ça fait grossir. Une cigarette ? J’essaie de ne plus fumer.

    c’est pour ça que j’ai commencé la boxe. Je peux taper sur des gens, et ça fait perdre la bière du weekend.

  5. Merci pour cet article très bien ficelé, du début jusqu’à l’ancestrale vidéo de fin.

    Bizarre qu’en 2012 ils n’étaient pas sur CS:S, les gars de l’étude.

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