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Dans La Suggestion de la Semaine, on fourre notre bras au fond du tiroir de la rédaction pour vous conseiller des bidules et des machins susceptibles d’attiser votre curiosité et de vous donner de quoi avoir l’air intéressant devant vos amis à l’apéro.

Jeux, films, documentaires ou œuvres plus obscures, c’est ici qu’on pourra se permettre de parler d’autre chose que des FPS, en attendant la nouvelle version du site où on fera des vidéos commentées sur les jeux Nintendo et où Squeezie sera invité dans nos locaux pour inaugurer notre rachat par Bolloré®.


Quand j’étais gosse, je raffolais des livres de R.L. Stine. Sa série Goosebumps, principalement, qui m’a accompagné durant un bout de temps et dont j’ai dû dévorer chaque numéro au moins trois fois. A la croisée du fantastique et de l’horreur, ses histoires étaient toutefois destinés à un public très jeune. Si je ressors l’un de ses bouquins aujourd’hui, je risque surtout de me marrer un bon coup. Malgré tout, c’est un auteur que j’admire pour l’ambiance surnaturelle qu’il a su développer au fil des numéros et les émotions bizarres que ses lignes ont souvent pu susciter chez mon moi gamin.

Stine avait un don pour écrire des histoires aussi épouvantables que ridicules, qui parlent à la jeunesse en allant chercher la peur dans des thèmes et des images de la vie courante, détournés jusqu’à provoquer un sentiment de malaise. C’est lui qui m’a par la suite dirigé vers des auteurs comme Stephen King, Edgar Allan Poe ou Lovecraft, qui jouent dans un registre beaucoup plus sombre mais continuent d’occuper ma table de chevet aujourd’hui.

Et, ces dernières semaines, c’est un ouvrage bien plus tape-à-l’oeil qui traînait au pied de mon lit. Tranche rouge vif, un étrange portrait en couverture coupé par un titre écrit en lettres capitales blanches sur fond rouge. 375 pages de bizarreries en noir et blanc, de dessins tordus et de métaphores monstrueuses. Ce livre, c’est Black Hole (la collection complète parue chez Delcourt) de Charles Burns et c’est dans son univers que j’aimerais vous emmener faire un tour aujourd’hui.

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Même ce visage, il fait froid dans le dos.

Charles Burns, dont vous avez très certainement déjà croisé le nom, est un auteur de bande-dessinée américain. Il nait en 1955 dans la ville de Washington et dès son plus jeune âge, il s’intéresse au dessin et à la photographie. Avant même de savoir lire, il piochait dans la bibliothèque de son père (océanographe de profession et grand amateur d’art pictural) et se perdait dans les illustrations de Tintin. Il avait alors cinq ans et bien que très peu d’ouvrages étaient traduits aux Etats-Unis à cette époque, il explique aujourd’hui que les oeuvres de Hergé ont considérablement marqué son enfance. Ça, et les bouches effrayantes de Clutch Cargo dont on peut distinguer l’inspiration dans certains visages de Black Hole.

C’est également dans la maison de ses parents qu’il tombe sur une collection de Mad Magazine qui appartenait à son père, et qui l’a amené à découvrir des oeuvres et un ton satirique qui ont joué un rôle crucial dans le développement de son propre style.

Quelques années plus tard, il étudie l’art aux côtés de Matt Groening, le créateur des Simpsons. Les deux hommes se lient alors d’amitié, et c’est d’ailleurs en hommage à Charles Burns que Groening créera par la suite le personnage de Charles Montgomery Burns dans son célèbre dessin animé. Le monde est petit, que voulez-vous.

Nous sommes alors dans les années 1970/80 et Charles Burns profite de sa jeunesse sous le soleil de San Francisco. Il s’amuse avec son Polaroid SX-70 en s’inspirant des clichés dérangeants de Lucas Samaras, écoute du rock, lit des bouquins de Burroughs et écume les caves des bars un peu douteux alors que le mouvement punk se développe dans les cités californiennes. Oh, et il dessine. Il dessine beaucoup.

Il commence à se faire connaître à partir de 1981, après sa rencontre avec Art Spiegelman. Encore une fois, le monde est petit. Dès lors, il publie quelques planches dans Raw Magazine et commence à créer ses propres histoires. Il touchera ensuite un peu à tout, de la publicité aux couvertures de magazines et a imaginé son univers qu’il développera dans plusieurs albums que je vous conseille chaleureusement (Big Baby ou encore Toxic, pour n’en citer que deux). Mais l’oeuvre de sa vie, celle qui lui a demandé plus de dix ans de sa vie, c’est Black Hole.

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Black Hole, c’est une histoire qui pue le tabac froid et la bière bon marché. On y suit l’histoire d’un groupe de jeunes de la banlieue de Seattle durant les années 70. Ça fume, ça baise, ça boit : on imagine très bien que Burns s’est inspiré du milieu étudiant qu’il a côtoyé pour donner de la crédibilité à son récit. Manque de bol, ces ados développent une maladie sexuellement transmissible, la Crève, qui provoque chez eux d’atroces malformations.

Certains ont la peau qui tombe, des pustules sur la tronche ou des dents rongées par on ne sait trop quoi. D’autres ont des membres qui poussent ou les organes génitaux qui se déforment. La grosse ambiance, d’autant que les effets varient d’une personne à l’autre – ils sont totalement imprévisibles. Les jeunes ayant chopé la Crève le cachent à leurs proches, vivent isolés et sont rejetés par leurs camarades. Dans les bois, une bande de crevards (appelons-les ainsi) ont tout abandonné pour vivre loin du regard des autres et effraient les passants.

L’intérêt de Black Hole réside justement dans ses récits croisés, qui racontent le quotidien de quelques jeunes et la façon dont la Crève a bouleversé leur vie. Bien plus mature et sombre que les livres de R.L. Stine que j’évoquais plus haut, c’est là aussi un ouvrage qui dépeint une image bien particulière des adolescents en utilisant des codes de l’imaginaire collectif. Une jeunesse paumée, qui noie ses doutes et ses peurs dans la drogue dure, le sexe et les excès.

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Alors non, il ne faut pas espérer sortir d’un bouquin comme Black Hole avec le sourire aux lèvres et le coeur empli de joie. Les 370 pages de dessin ne contiennent pas une once de couleur et certains passages peuvent être considérés comme dérangeants. Il m’est arrivé d’avoir des frissons en me mettant dans la peau d’un des personnages, ou de frémir de dégoût à la simple vision d’une scène particulièrement sale. C’est un livre crade, glauque et triste dans lequel Charles Burns ne semble pas s’être imposé de limites pour créer une ambiance. Et il le fait merveilleusement bien.

Si vous êtes prêt à passer outre, vous n’aurez pas de mal à vous plonger dans Black Hole et y trouverez une oeuvre malsaine sortie de l’imaginaire inquiétant d’un artiste farfelu. La meilleure représentation de son univers, à l’intersection de ses différentes influences et de sa vie personnelle.

Si vous en voulez encore, allez jeter un coup d’oeil à tout ça :

  • Le travail musical de Fever Ray, dont l’album éponyme reprend l’esthétique de Black Hole. Les musiques collent parfaitement à l’ambiance du bouquin. D’ailleurs, j’ai écrit cet article avec sa musique dans les oreilles.
  • Stranger Things, une série télévisée très inspirée de l’univers de Stephen King qui suit un groupe d’enfants dans une histoire de réalités parallèles et de créatures fantastiques. De la bande-son à la photographie en passant par le jeu d’acteur, tout y est grandiose.
  • Le court-métrange Black Hole réalisé par Rupert Sanders. C’est une adaptation en onze minutes d’un passage du livre, un peu ridicule mais qui a le mérite de bien cerner son ambiance.

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