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Aujourd’hui, tout doit être badass et je déteste ça. Arya dans la série Games Of Throne est une petite fille traumatisée par la mort de son père. Son esprit est forgé par la violence du monde et elle en devient super badass. Dans les derniers Deus Ex, Adam Jensen se fait pulvériser lors d’un combat. On doit le reconstruire presque entièrement. Son corps devient cybernétique et, lui, il devient un gros badass. Dans Dishonored 2, Emily Kaldwin doit vivre dans un monde violent où sa mère a été assassinée, et bien sûr elle est super badass. Ce côté « je suis bien plus fort que les autres et en plus j’ai trop la classe » est très agaçant. On peut comprendre qu’à un degré primaire, on veut se sentir fort et avoir l’air cool, il n’empêche qu’au bout d’un moment, le concept tourne en rond, surtout si je jeu auquel on est en train de jouer n’est pas un pur jeu d’action, et surtout si l’un des concepts de base du jeu est l’infiltration.

[–SUITE–]

Ma tata est une usurpatrice

Pour commencer l’histoire de Dishonored 2, on fait entrer dans la salle du trône un duc avec des robots steampunk aux membres acérés. On sort ensuite de son chapeau une tante cachée de l’impératrice, puis on tue tout le monde grâce aux traîtres infiltrés. Enfin, on fige soit l’impératrice, soit son père protecteur, et on enferme dans une pièce avec des vitres ouvertes le ou la monte-en-l’air notoire restant(e). La suite, c’est plus ou moins la même chose que dans Megaman. Que vous choisissiez de jouer avec Emily, l’impératrice usurpée, ou Corvo, père de celle-ci et héros du jeu précédent, vous voilà parti pour tuer tous les lieutenants de votre tante/belle-sœur avant de vous faire la vieille sorcière. J’exagère, il y a un peu plus d’enjeux que ça dans l’élimination de vos adversaires, mais le scénario de Dishonored 2 arrive à être encore moins profond que celui du premier. Mais après tout, ce n’est pas important, des grands romans ont été écrits malgré une histoire résumable en trois lignes. Le principal, c’est comment est-ce qu’on raconte tout ça.

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Et Arkane Studios le raconte mal. Dans toute l’histoire de la narration, l’une des règles les plus consensuelles est celle du « show, don’t tell » : montre, ne dis pas. En clair, plutôt que de faire dire par le narrateur ou un personnage : « il y a un monstre dans cette cave », on fait entendre un rugissement et des gamins au loin hurler « c’est le chupacabra ! ». Presque tout est dans le « dire » dans Dishonored 2. C’est d’autant plus grave qu’un jeu vidéo offre une structure parfaite au « montre » : la narration par le jeu permet de laisser au joueur le loisir de faire sa propre lecture, grâce aux interactions qu’il a avec l’environnement. Ici, rien de tout ça. Les NPC vous disent ce qui va se passer ensuite. L’Outsider, le représentant de la magie dans le monde, n’arrête pas de vous répéter que vos choix ont des conséquences. Tout ceci est un peu condescendant, comme si on n’était pas capable de se rendre compte de nous-mêmes du poids de nos actions, ou comme si l’architecture d’une maison n’était pas suffisante pour nous renseigner sur la psyché de son propriétaire.

On se sent tenu par la main. Ça se retrouve même dans les quêtes où toutes les solutions sont plus ou moins proposées à l’avance, ou dans la résolution des mini-jeux liés aux coffres forts. Plutôt que de deviner nous-même la combinaison grâce aux indices fournis, il suffit de trouver le bon document qui nous l’indique et elle est inscrite dans son journal. Ce phénomène est d’autant plus présent qu’en incarnant Corvo ou Emily, on n’a pas l’impression d’être acteur de ce qui se déroule, mais un pantin qui sert une aventure déjà écrite d’avance. On est un cascadeur, présent pour doubler la marche inexorable de l’histoire. On se débarrasse d’un méchant, on trouve un indice, on en parle à nos alliés qui nous désignent la cible suivante, et on recommence. Cette façon méprisante de nous montrer quoi faire est agaçante et elle déconnecte le joueur. On ne parvient pas à rentrer dans le jeu par la lucarne de son histoire. Il n’y a pas d’empathie pour les personnages et les conséquences ont le goût blême des choses qu’on nous annonce sans préambule.

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La perfection du désordre

L’optimisation à la tronçonneuse
Si vous avez fait un tour du côté des forums, sur Steam et autre Metacritic, vous savez que le port PC a apparemment été fait par le service téléphonie mobile de la Poste. Problème de sensibilité de souris, chute de framerate, et autres ralentissements… On se demande comment le contrôle qualité a pu laisser passer ça. De mon côté, et malgré quelques cahots au début, je n’ai pas eu énormément de problèmes, au-delà d’un jeu trop gourmand pour la qualité de ses graphismes. Mais je vous invite quand même à aller faire un tour sur ce petit article de Noddus. D’ici peu de temps, on l’espère, un patch devrait corriger tout ça.

La narration n’a jamais été le principal domaine d’expertise d’Arkane, mais ils se rattrapent avec l’ambiance et l’univers créé. Le premier Dishonored frappait déjà très fort avec ce monde whalepunk où le cétacé était non seulement le principal carburant de la technologie, mais aussi la principale source de magie. Dans le second, on met un peu les baleines de côté, sans les oublier, pour aller dans un environnement peut-être moins original, mais tout aussi réussi. La direction artistique est la première grande force du jeu, et même si vous êtes obligés de jouer avec les options vidéo tournées au minimum (voir encadré), le souci du détail, la réussite de la mise en scène et le soin minutieux apporté aux différents décors à chaque moment de l’aventure vous font oublier vos déboires graphiques. Que ce soit en intérieur ou en extérieur, dans un port ensoleillé, dans une maison bourgeoise ou les archives foutraques d’un musée, chaque lieu est usiné avec minutie et seules quelques fausses notes viennent perturber notre enthousiasme permanent. Ces légers couacs : la musique peu marquante, les tableaux aux murs qui se répètent un peu, n’arrivent pas à ternir la sensation de plaisir que procure la direction artistique. Dishonored 2 est beau, non pas comme une photo avec dix-huit troulions de mégapixels, mais comme un dessin réalisé par un véritable artiste ; celui qui a un don pour la lumière, la science de l’accessoire placé là où il faut, et le goût pour l’architecture hors norme.

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La voilà, l’autre grande force de ce Dishonored 2 : son level design. On retrouve la verticalité déjà présente dans le premier épisode. On est la plupart du temps dans une ville où les bâtiments élevés sont partout et les capacités des deux héros permettent de voyager avec aisance dans ces enchaînements de balcons, de parapets, de poutres et de toits. Tout est fignolé pour que l’exploration soit un plaisir. Plusieurs runes et whalebones, là pour améliorer Corvo ou Emily, sont cachés dans des recoins plus ou moins retors des niveaux et leur recherche est sans doute l’activité la plus agréable du jeu. J’en profite d’ailleurs pour vous conseiller de désactiver, non seulement les marqueurs d’objectifs, mais aussi ceux qui indiquent la distance entre vous et les améliorations. Sans ces détestables aides, le voyage dans la ville est bien plus jouissif et on apprend à connaître l’environnement à travers ses propres recherches, plutôt que devenir de simples suiveurs de GPS, qui, parce qu’ils vont tout droit vers leur objectif, passent à côté de lieux charmants qu’on ne découvre qu’en se perdant.

Au-delà de ce fourmillement d’endroits secrets et de bonus cachés, Dishonored jette par la fenêtre l’habituel paradigme du « porte ou conduit de ventilation » présent dans de très nombreux jeux du même genre. On ne plaisante pas chez Arkane quand on dit qu’il y a de très nombreuses façons d’aller d’un point A à un point B. Certains niveaux proposent même des gimmicks qui bouleversent complètement les habitudes et nous offrent d’ailleurs des moments assez mémorables : tempêtes de sable, maison puzzle et autres surprises. La mission sept vous surprendra, comme dirait Buzzfeed.

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Ces différentes alternatives se reflètent bien évidemment sur l’architecture du jeu, et le résultat c’est que tout ça n’est pas très cohérent. On n’a pas l’impression d’être devant une véritable ville, ou alors devant R’lyeh, la cité engloutie à la géométrie non euclidienne. Ce n’est pas vraiment un problème, ce monde tiré d’une peinture de M.C. Escher apporte encore plus à l’ambiance et le manque de liant entre les divers environnements n’est jamais un problème majeur. On n’a jamais l’impression d’être devant un monde faite pour le joueur. Les placements des obstacles sont assez subtils, les différents chemins assez tortueux pour qu’on ne se doute jamais consciemment qu’on est en train de jouer à un labyrinthe inventé pour qu’on s’y amuse de certaines façons. On se demande même presque parfois si la solution qu’on a trouvée était prévue par les développeurs à la base. Passer par la fenêtre, le toit, les sous-sols, voler une clef, péter une vitre ou désactiver un obstacle : dans Dishonored, vous choisissiez votre parcours.

Vivre et laisser mourir

Vous avez aussi le choix des armes. Il y a quatre façons différentes d’appréhender ses adversaires. Vous pouvez les tuer ou pas, vous pouvez vous faire voir ou non. L’aspect non létal et non détecté est la voie la plus gratifiante. Elle est la plus difficile. C’est celle que le jeu vous montre comme la meilleure (tuer des gens et se faire repérer étant présenté comme des échecs sur les écrans de fin de niveau). C’est celle qui apporte la fin la plus optimiste. C’est aussi la façon la plus intéressante de visiter les niveaux. Il est bien plus enrichissant de se balader dans des maisons pleines de gardes pour y dérober les objets précieux et autres clefs, que de massacrer tout le monde pour ensuite parcourir votre champ de mort à la recherche du butin, même si, j’y reviendrais, cette dernière est bien plus efficace. Les différents pouvoirs de Corvo et d’Emily servent le côté infiltration, et vous avez plus d’options, notamment au niveau des gadgets, que dans le premier pour éliminer les gardes de façon non létale. Ajoutons que si vous aimez être sournois, mais que vous appréciez quand même une belle mort, tuer de façon dissimulée est aussi une activité plaisante et votre arsenal vous permettra avec facilité de laminer vos adversaires sans souci majeur.

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Si foutre le bordel en ville ne vous dérange pas, vous pouvez très bien opter pour le massacre à la vue de tous. Épées, pistolets et grenades sont là pour vous, espèce de brute. Les combats à l’arme blanche procurent de très bonnes sensations. Les blessures correspondent aux coups portés, les visages paniqués de vos adversaires découpés procurent plaisir et félicité chez le sadique qui sommeille en chacun de nous. Comme dans le premier, toute cette partie est propice à l’expérimentation. Tel un Devil May Cry du FPS, toute proportion gardée, Dishonored 2 propose un set d’outils qui permettent de s’amuser avec ses adversaires, pour les tuer avec classe et emphase, sans tracas autre que la beauté du geste. Et là est le principal problème de Dishonored 2.

Peur de rien

Dans mon introduction, j’ai dit que j’en avais assez des personnages badass. C’est le cas avec le jeu d’Arkane. Emily ou Corvo sont des monstres surpuissants au milieu de la piétaille adverse. Tout ceci serait bien joli si Dishonored n’était qu’un simple jeu d’action. Sauf que son côté infiltration est un aspect important de son système, et c’est la façon par défaut de jouer le jeu pour de nombreuses personnes. Certes, on a toujours le choix entre être une tornade de lames et être un ninja humaniste, mais quand le premier choix est bien plus simple et rapide que le second, on perd tout le côté vulnérable propice à la tension et nécessaire pour vraiment apprécier ce genre de jeux.

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La recette de Pedro pour jouer comme un homme
Voilà comment, selon moi, transformer le jeu en bon jeu d’infiltration : il faut d’abord jouer en très difficile. Les ennemis ont une vision quasi réaliste de cette façon. Pas plus de cinq sauvegardes rapides par niveau, comme ça pas d’abus. On reprend sa save précédente dès qu’on est repéré. On ne prend ni wallhack ni le pouvoir Domino d’Emily, qui permet de lier le destin des adversaires (vous assommez untel, untel que vous avez lié avec le premier est assommé aussi). On n’utilise pas plus de trois fléchettes tranquillisantes par niveau, et enfin, on désactive les marqueurs de quêtes et d’emplacements de runes. Par contre, ne choisissez pas l’option de faire le jeu sans pouvoir car les mécaniques ne sont selon moi pas assez profondes pour être agréables sans eux.

Être quasi certain qu’on va se faire trucider si on est découvert est la condition sinequanone du jeu d’infiltration réussi. Le problème quand on est un hybride, comme Dishonored, c’est que se faire chopper n’a pas de conséquence directe, comme dans un Alien isolation. Fuir est simplissime, tuer tout le monde presque autant. Alors oui, vous allez avoir une fin cynique et des croix rouges une fois le niveau fini, mais c’est le joueur qui doit activement décider de lui-même de créer sa propre situation d’échec si on veut faire de Dishonored un jeu d’infiltration. En clair, il faut relancer sa sauvegarde dès qu’on se fait repérer. Le problème, c’est qu’avec le temps ça devient de plus en plus frustrant. Les pouvoirs liés à la furtivité ont un côté passif déplaisant, c’est du wallhack, de la possession, et ils ne demandent pas d’être véritablement doué, seulement d’être patient. Jouer le jeu de façon agressive est aussi bien plus rapide, et c’est la façon la plus efficace de visiter le niveau en entier. Pas besoin de passer des heures à contourner, à planquer les corps, à défaire les systèmes d’alarme, il suffit d’avancer, de tuer le premier venu, d’attirer tout le monde à soi en faisant du bruit et on dépeuple un niveau. Pire encore, la menace des bloodflies, sorte de colibris sanguinaires qui vont venir peupler les rues et bâtiments du jeu si vous préférez le carnage à l’apaisement, devient nulle quand on se rend compte qu’il suffit d’avancer sur leur ruche en donnant des coups d’épée pour détruire et l’insecte ravageur et son habitation.

Je sais que certains d’entre vous vont être capables de s’imposer des règles pour faire le jeu sans tuer personne ni se faire repérer. Il y a les achievements liés à la chose, il y a l’influence sur l’histoire, il y a la satisfaction d’avoir pris le chemin le plus difficile, mais au-delà de tout ce que j’ai pu dire avant, les mécaniques d’infiltration n’en valent pas la peine, surtout que l’IA est une catastrophe sans borne. Je pourrais donner des dizaines d’exemples d’idiotie extrême, mais mon préféré reste le garde assis sur une chaise dans une pièce fermée et dans laquelle j’aimerais rentrer. Faisant confiance aux mécaniques du jeu, je fais du bruit à l’extérieur pour que le malotru vienne enquêter. Il se lève, hurle, s’approche de la porte, lance une grenade et se suicide avec l’explosion. Au moins, il a détruit la porte pour moi. À noter aussi que le son n’est pas du tout cohérent avec ce qui se passe dans le jeu, que vos adversaires savent reconnaître vos bruits de pas par rapport à ceux de leurs collègues, et que le manque de polish général (bug de pathfinding, distance de vue aléatoire, etc) va souvent vous empêcher de faire ce que vous avez envie de faire. Il va falloir faire preuve d’abnégation et accepter tous ces problèmes pour jouir véritablement du jeu.

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Une direction artistique qui excuse tout

Dishonored 2 est un AAA qui a les défauts des AAA : une narration qui nous tient par la main, une grande facilité et une envie de faire des héros des badasses, une envie de nous faire vivre une power fantasy. Tout en oubliant que jouer quelqu’un de vulnérable, qui arrive à franchir les obstacles dressés devant lui alors qu’il est plus faible que le garde de base, est une façon merveilleuse de donner au joueur la sensation que c’est lui qui a réussi, et non pas le personnage qu’il joue. Mais heureusement Dishonored 2, en plus d’avoir un système de combats propice à l’expérimentation, n’est pas un AAA basique. Il a la chance d’avoir une âme, grâce à l’excellence de sa direction artistique et de son level design. Au final, à vous de voir si vous vous sentez capable de tenir vos propres règles, indispensables pour apprécier la partie infiltration du jeu. Si vous avez réussi à le faire avec Dishonored premier du nom, vous ne devriez pas avoir de problème avec celui-là.

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