On a tendance à diviser les jeux vidéo en deux catégories : les AAA et les jeux indépendants. Les premiers ont des graphismes incroyables, une durée de vie souvent conséquente, un monde gigantesque et sont poussés par des équipes monstrueuses. Les seconds sont plus petits, car bien sûr peu de gens travaillent dessus ; mais ils compensent leur manque de moyens avec une direction, une âme, parce qu’ils sont justement faits par peu de gens et qu’aucun éditeur n’est là pour les guider vers quelque chose de plus commercial. Les jeux qui sont entre les deux sont rares. On peut penser à ceux édités par Focus, et maintenant à Hellblade: Senua’s Sacrifice.

Valkyrie kiri kiriiii

C’est dur de faire des titres débiles quand on doit parler d’un jeu sérieux, mais c’est la tradition. Senua est une jeune guerrière celte. Son monde est celui des dieux, des géants de glace, d’Odin, de Fafnir et de Brunehilde. On comprend au début de l’aventure qu’elle veut se rendre aux enfers de la mythologie scandinave, Helheim, pour venir y chercher son petit copain décédé. Elle va devoir subir plusieures épreuves, affronter différents adversaires pour arriver devant Hela, la maîtresse des lieux et réclamer l’âme de son amoureux. Senua est une guerrière très douée et le challenge ne semble pas insurmontable, mais la demoiselle est corrompue par quelque chose appelé dans le jeu « the darkness », une affliction qui la lie avec les mondes souterrains et ses ondulations ténébreuses. Cette affliction rend Senua psychotique, elle entend des voix et est incapable de faire la différence entre la réalité et ses hallucinations.

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Dans Hellblade, on contrôle donc Senua dans sa quête, à travers une vue à la troisième personne très resserrée sur le personnage. On a presque le sentiment d’être une présence indélicate, posée au bord de son omoplate. Le jeu se découpe grossièrement en deux séquences : les combats et les puzzles. Les premiers sont très classiques : esquive, parade, coup fort et faible. Les seconds sont assez variés et sont souvent liés à l’environnement. Trouver des runes formées par le décor, jouer avec des mondes parallèles. J’ai fait le jeu en un peu plus de sept heures (il ne coûte que 30€), en difficile, et il faut savoir que ces puzzles occupent la plus grande partie du temps. Si je devais diviser tout ça au doigt mouillé, je dirais une heure quarante-cinq de combats, trois heures quinze de puzzles et deux heures de cinématiques et autres dialogues.

Des pains et des jeux

Micro-histoire de Ninja Theory
Hellblade est le quatrième jeu majeur de Ninja Theory, qui a aussi fait Heavenly Blade, Enslaved et le reboot de Devil May Cry. On retrouve beaucoup d’Enslaved dans Hellblade. Des personnages très attachants, servis par de solides animations et des acteurs convaincants qui accompagnent un gameplay en demi-teinte, avec des combats simplistes mais agréables et des phases d’exploration assez ternes et faciles.

Même s’il n’est pas forcément l’aspect le plus important du jeu, le système de combat tient quand même une place centrale dans Hellblade. Et c’est tant mieux, parce que c’est mécaniquement ce qu’il y a de plus réussi dans le jeu. Je disais que le tout était classique, mais la position de la caméra et le dynamisme de l’ensemble font que les affrontements sont un mélange agréable entre martelage de touches, réflexes et stratégie. Il faut savoir se positionner pour éviter de se prendre des coups dans le dos, il faut savoir quand parer et quand esquiver, quand utiliser son attaque légère ou son attaque lourde. Senua est très rapide et maniable, et se déplacer entre les différents adversaires est toujours une expérience plaisante. Regrettons quand même la facilité du jeu. Le timing pour contrer les coups ou pour les éviter est très généreux et le pouvoir permettant de ralentir le temps souvent disponible. Malgré tout, on prend un vrai plaisir à trucider des hordes d’adversaires toujours plus nombreux, et certains combats particulièrement longs sont assez jouissifs. On ajoute à ça quelques bosses. Même s’ils n’ont rien de transcendants, ces épreuves restent elles aussi très réussies.

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Les puzzles par contre sont un peu plus mous du genou. C’est d’autant plus dommage qu’ils occupent comme je l’ai dit une très grosse partie du jeu. Jamais très compliqués, ils se résolvent pour la plupart sans qu’on y pense. Certains demandent de fouiller le décor à la recherche de runes cachées, de branches qui forment un R une fois le bon angle trouvé, d’un brasero qui projette une ombre, de traces au sol qui réclament qu’on grimpe au sommet d’une petite tour pour en découvrir le véritable sens…Cette activité de recherche peut très vite devenir lourdingue, surtout que le jeu est parfois un peu tatillon sur les résolutions. Il faut se concentrer avec la capacité de Senua pour véritablement voir ce qui doit être vu et l’angle est quelquefois difficile à trouver. Dans la deuxième moitié du jeu, il y a plusieurs moments plus originaux et qui relèvent le niveau, mais on est toujours soulagé de voir que la séquence d’après est un combat plutôt qu’un puzzle. Sachez quand même que tout ça est très bien intégré dans le jeu et que ces énigmes ont un sens, notamment par rapport à la folie de Senua.

Motion capturez les tous

C’est bien beau de décrire froidement ce qu’est Hellblade, mais toutes ses mécaniques sont enveloppées dans quelque chose de supérieur à elles. Les graphismes et de la direction artistique en général déjà. Même si les décors sont plutôt ordinaires, hormis quelques passages plus grandiloquents, il est difficile de ne pas admirer le travail de Ninja Theory. Il faut fermer les yeux sur quelques textures basses résolution, mais j’ai été de nombreuses fois impressionné par la qualité des paysages, notamment avec ce qui se passe en arrière-plan. Les monstres sont un peu moins réussis, mais leur design rappelle un peu celui d’un Pyramide Head de Silent Hill, et c’est selon moi toujours une bonne chose.

Mais ce n’est rien comparé à ce qui a été fait avec Senua. Ninja Theory a pris le concept de motion capture et l’a amené à un autre niveau. Tout le visage de l’actrice qui joue la jeune femme a été enregistré en même temps que sa voix et le résultat est remarquable. Senua est une vraie personne, elle a un visage humain qui ne tombe jamais dans la uncanny valley, et il est vraiment très facile d’être empathique avec elle, tant ses sentiments, ses douleurs et ses pensées semblent réelles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

slayer

Le problème c’est que si Senua est une réussite complète, les autres personnages, qui n’apparaissent que flous, ont eux un rendu vraiment étrange. Je ne sais pas s’ils ont utilisé la même technologie ou s’ils ont simplement filmé des acteurs déguisés, mais ils gâchent vraiment l’immersion et certains passages en deviennent ridicules. On a parfois l’impression que Senua est en train d’interagir avec Jean-Claude à qui on a filé en costume de chaman. Notons aussi que l’acteur qui joue Druth, un personnage très présent dans le jeu, est une grosse tanche et qu’il est difficile de ne pas grincer des dents à l’écoute de certains de ses monologues.

Rentre dans ma folie

La mort, c’est pour toujours
On vous prévient au début du jeu que si Senua meurt de trop nombreuses fois, votre sauvegarde pourrait être effacée. Je n’ai pas voulu vérifier si c’était réel (et je vous invite à faire la même chose) et je ne suis pas mort beaucoup de fois, mais il est indéniable que ça rajoute un peu de tension.

J’ai dit au début de l’article que Senua était psychotique. Là est tout le sel d’Hellblade. Pour commencer, elle entend des voix. Ninja Theory a fait tout un travail pour coller à la réalité de ceux qui partagent cette affliction, et on a même le droit au début à un petit disclaimer invitant les gens sensibles à comprendre que ce qu’on va vivre peut devenir perturbant. Ça ne m’a pas fait grand chose, mais au bout d’un moment, entendre constamment ces petites remarques disant à Senua d’avancer, se moquant d’elle quand elle est perdue, lui disant quand un adversaire va la frapper dans le dos, ce fourmillement de petites phrases, parfois chuchotées, parfois tonitruantes, cette cristallisation de la conscience de Senua, de sa psyché torturée, tout cet environnement sonore, toujours là, donne à Hellblade une ambiance superbe et étrange. A partir d’un moment, une nouvelle voix vient s’installer parmi les autres, grave et onctueuse, agressive et inquisitrice. C’est là que je me suis dit que ce jeu faisait quelque chose de bien, alors qu’un frisson venait secouer ma colonne vertébrale.

007ecb previewEntendre des voix c’est certes bien, mais Senua est atteinte par tout le spectre de ses troubles psychotiques. Les hallucinations font partie du jeu, on comprend très vite qu’il faut se méfier de tout ce qu’on voit et que si on est en train de vivre l’histoire de Senua, on la vit à travers ses yeux : ses yeux qui voient des runes dans le paysage, ses yeux qui sont des machines à produire des symboles. Le scénario d’Hellblade est décousu, on comprend ce qui se passe au fur et à mesure, avec Senua, avec ses blocages qui sautent, avec ses illusions qui disparaissent. Et je n’irai pas plus loin dans ma description, parce que raconter reviendrait à donner des coups de masse dans les murs d’un labyrinthe.

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Le meilleur dans tout ça, c’est que Senua et sa psychose sont le jeu. Il n’y a pas de HUD, pas de tutorial, aucune indication, seulement les voix et les visions. Tout a un sens dans Hellblade. Une fois le jeu terminé, on pense à ce qui vient de se passer et tout s’imbrique correctement dans un mélange de symbolisme, de drame et de folie. Les jeux qui font ça sont très rares, être cohérents avec eux-mêmes, faire que les mécaniques, l’histoire, la narration, les sensations, les sons s’imbriquent les uns dans les autres pour devenir indissociables, un tout sans saillie disgracieuse au-delà des cahots de la réalisation. Rien n’est arbitraire dans Hellblade.

 

Qualité AAA et vision d’auteur

Hellblade tend une main qu’il faut savoir prendre. J’ai eu du mal à rentrer dans le jeu, notamment à cause de ses puzzles un peu chiants. Je l’ai trouvé trop maniéré dans ses débuts, et puis j’ai accepté ce qu’il voulait faire, je me suis mis à m’attacher à Senua, à comprendre ce qui se passait dans sa tête et à faire son voyage avec elle, à vivre un peu ce qu’elle vivait. La seconde partie étant meilleure que la première, je suppose que ce sentiment est logique. C’est un jeu étrange qu’on adore avoir fini, comme un livre aux longueurs rébarbatives mais dont le message vaut le coup d’être reçu.

En cadeau, quelques screenshots pris avec Ancel de Nvidia (un outil qui permet entre autre de changer les angles de vue), sur cet album Imgur.

 

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