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Avec une note moyenne de 95%, Bioshock Infinite est le FPS le mieux noté de tous les temps derrière Half-Life 2, Half-Life et Bioshock qui ont tous les trois obtenu un point de plus. La presse est unanime, les joueurs aussi, pourtant il y a beaucoup à redire sur la qualité du jeu.

Je vous propose de découvrir mon point de vue qui a la particularité d’être celui d’un vétéran des FPS, accro à la violence et aux meurtres virtuels et peu à même de se laisser séduire par un univers merveilleux orchestré par une princesse possédant des pouvoirs magiques : [–SUITE–]

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La tête dans les nuages

La première heure passée dans la cité volante de Columbia est époustouflante. On y découvre des bâtiments à l’architecture sublime construits sur des îles flottant les unes à côté des autres, dans des paysages qui s’étendent sur des kilomètres. Les rues pullulent d’affiches et de slogans originaux qui donnent de la consistance à la vision politique et sociale des habitants. La moindre scène est très détaillée, très travaillée, avec des éclairages et une bande-son qui mettent superbement en valeur l’atmosphère si particulière du jeu.

Je n’étais pas du tout convaincu par les vidéos et les screenshots diffusées jusqu’ici, mais une fois dans le jeu, je me suis laissé envouter par cette direction artistique sublime. Mais passé le coup de foudre, on se réveille le matin, on allume la lumière, et que découvre-t-on ?

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Le nez dans les poubelles

Si vous avez l’habitude de décortiquer les jeux vidéo, il ne vous faudra pas longtemps avant de découvrir les failles de ce Bioshock Infinite. Dès les premières secondes, vous êtes dans une barque avec deux personnages, l’un reprochant à l’autre de ne pas l’aider à ramer sauf que… Il n’y a qu’une seule paire de rames dans l’embarcation. Le dialogue est amusant et bien trouvé, mais ce que disent les protagonistes (« aide-moi à ramer ») n’est pas cohérent avec ce que montre le jeu (il n’y a qu’une paire de rames). Mais je pinaille, car ceci n’est qu’un détail comparé à la suite :
Vous atteignez un quai, vous débarquez, vous ne savez pas ce que vous faites ici, il fait nuit, vous entrez dans un bâtiment, vous découvrez un mystérieux cadavre et un message vous invitant à grimper les marches. La tension est à son comble… Puis vous fouillez la poubelle qui clignote en bleu où vous découvrez 10 pièces d’or. Sérieusement, pourquoi ? Pourquoi les level designers s’évertuent à mettre en scène cet instant de tension où le scénario vous intime de grimper les marches, tandis que le jeu vous récompense si vous préférez briser l’immersion en fouillant la pièce à la recherche de butin ?

Ces premières minutes résument le principal problème de Bioshock Infinite : le gameplay dessert la narration en encourageant le joueur à adopter un comportement en total décalage par rapport à l’ambiance et au scénario. Vous ne pouvez pas faire 10m sans que le jeu vous hurle au visage « tu es dans un jeu vidéo ! ». Bonjour l’immersion. Les exemples sont légion :

En vous promenant dans les rues, vous découvrez une scène touchante où de pauvres gens meurent de faim. Comme c’est émouvant… À deux mètres d’eux se trouvent trois tonneaux et une poubelle. Vous lootez tout ça et récupérez 15$, trois ananas et un chargeur de fusil à pompe. Pendant ce temps, les pauvres continuent à pleurnicher sur leur sort et n’espérez surtout pas leur offrir l’argent et la nourriture que vous venez de récupérer : 99% des PNJ n’offre aucune interaction.
L’argent, vous en trouverez à tous les coins de rue. Par terre, dans les poubelles, sur les tables, sur un banc à côté d’un type. Vous pouvez le ramasser, personne ne vous dira rien, à croire que la monnaie n’a aucune valeur dans le monde de Bioshock, sauf que justement, cet argent sert à acheter des objets dans des distributeurs. Une incohérence de plus qui nuit à la crédibilité du monde.

En fait, vous passez une bonne partie du jeu à ramasser des objets de valeur en fouillant des tonneaux, des poubelles, des bureaux, des caisses. Le moindre bidule modélisé dans le jeu est prétexte au loot. C’est pire que dans Diablo, on passe son temps à looter, et ça n’a aucune justification dans l’univers. Par exemple, vous êtes dans une banque, vous fouillez une rangée de coffre-forts, vous repartez avec trois pommes et dix grenades. Le loot est tellement envahissant qu’on passe son temps à fouiller, le nez dans les poubelles, au lieu de contempler les bâtiments volants de Columbia.

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Au pays des automates

Quand on prend la peine de lever les yeux, on découvre des personnages qui sont telles des statues de cire. À un moment, je m’arrête pour écouter un passant qui converse avec un vendeur :

– Bonjour, vous vendez des choux ?
– Euh, oui.
– Je vais en prendre un alors.

Le vendeur et le passant se regardent, et ils ne font plus rien… Les PNJ de Bioshock semblent tellement dénués de vie que je me suis souvent demandé si ça ne faisait partie du scénario. Malheureusement, non.

Passées les premières heures, il devient de plus en plus difficile de s’immerger tellement ce Bioshock nous rappelle qu’il n’est en réalité qu’un jeu vidéo. Même les combats semblent accessoires, voire superflus et injustifiés. Par exemple, à un moment un groupe de quatre ou cinq types vous volent votre véhicule et vous demandent de leur rendre un service si vous souhaitez le récupérer. Le service en question implique d’assassiner une centaine d’ennemis… Ce ne serait pas plus simple de tuer les quatre gars qui vous ont piqué votre moyen de transport ?

Au cours du jeu, vous tuerez brutalement des centaines de types. Vous réduirez en cendre les armées de Columbia, la citée la plus puissante du monde. Vous assassinerez tous ceux qui s’interposeront entre vous et votre objectif. Quel objectif ? Effacer vos dettes, sauver une fille et vous faire pardonner de vos erreurs. Ce n’est tout de même pas très crédible.
Que ce soit les combats ou le loot, le gameplay n’est jamais au service de la narration, au contraire il la dessert, et c’est là le principal problème de Bioshock Infinite.

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La tête en vrac

Le gameplay, parlons-en. Je vous ai déjà expliqué comme le loot est rébarbatif, mais examinons un peu le reste. L’exploration est minimale : Columbia se présente comme un grand couloir le long duquel vous suivez vos péripéties. Le côté aérien de la ville n’est quasiment pas exploité et vous l’oublierez rapidement. Il n’y a presque aucun embranchement, très peu de passages secrets, et le côté artificiel du gameplay vous donne l’impression de suivre un rail à travers une fête foraine.

Les combats, s’ils sont plus nerveux que ceux des précédents Bioshock, sont également moins complexes. Pour vous empêcher d’utiliser la même arme tout le long du jeu, les développeurs ont choisi de limiter drastiquement les munitions que vous pouvez transporter, ce qui vous oblige à changer régulièrement de flingue. Et comme vous ne pouvez en porter que deux à la fois (misère…), vous serez souvent forcé de fouiller les corps au beau milieu d’un combat à la recherche d’une nouvelle arme, en vous contentant de ce qui vous tombera sous la main. Tout l’aspect gameplay émergeant des premiers Bioshock passe ainsi à la trappe : il n’est plus possible d’élaborer une stratégie en prévision d’un gros combat comme vous le faisiez face aux Big Daddies. Ici, vous spammez toutes les munitions en votre possession, vous utilisez vos pouvoirs, puis vous collez votre nez au sol et lootez les cadavres pour ramasser une nouvelle arme.

Les quelques combats censés être intéressants se déroulent dans des arènes qui sont toutes plus ou moins conçues sur le même modèle : une grande place centrale, deux ou trois endroits protégés sur les côtés et un point de vue en hauteur. Des fois, vous avez également droit à un rail aérien sur lequel vous pouvez vous accrocher pour faire le tour de l’arène en spamant vos roquettes au sol. Mais le pire, ce n’est pas tant le level design artificiel que le système de santé :
Votre héros possède une barre de vie et un bouclier qui s’autorégénère. Votre tactique consiste donc à tirer, puis à vous mettre à couvert pour permettre à votre bouclier de se recharger. Pour contrer cette stratégie, les développeurs sont contraints de vous mettre face à une multitude d’ennemis qui vous spamment de tous les côtés pour vider votre bouclier et vous empêcher de le recharger. En réponse de quoi, vous êtes obligé de trouver un endroit à l’écart d’où vous pourrez tirer quelques secondes avant de vous mettre à couvert. Autrement dit, vous campez dans un coin de la map et faites caca derrière une caisse toutes les trois secondes. Et si jamais on vous balance un gros boss qui vous attaque au corps à corps, il ne vous reste plus qu’à courir dans tous les sens au milieu des ennemis pour trouver un autre endroit où vous mettre à couvert.

Parfois, ça ne fonctionne pas, mais pas d’inquiétude, puisque vous respawnez à 20m de l’action lorsque vous mourez. Les développeurs ont tenté de faire en sorte que la mort ne soit pas pénalisante, mais elle reste pourtant frustrante dans le mauvais sens. En effet, en respawnant vous perdez une petite quantité d’argent ce qui vous donne l’impression d’être handicapé pour la suite du jeu. De plus, vous ne pouvez pas reprendre le combat à partir de zéro afin de rectifier vos erreurs. En effet, il n’y a pas de sauvegarde, et les checkpoints sont beaucoup trop éloignés pour vous permettre de recharger quand vous mourez.

Gagner un combat difficile sur Bioshock Infinite, c’est aussi gratifiant que de terminer un jeu sur une borne d’arcade en rajoutant de l’argent pour obtenir de nouveaux crédits chaque fois que vous mourez. « T’as perdu ? Pas de problème, tu peux continuer à jouer, mais tu dois payer parce que tu es nul. »

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La narration au forceps

Résumons : l’exploration, les combats, le level design, tout ce qui constitue le gameplay de Bioshock Infinite est non seulement pas terrible, mais a en plus tendance à desservir la narration. Mais alors, comment font-ils pour raconter l’histoire ? Et bien tout simplement : il vous la raconte. Au lieu de vous faire vivre l’histoire, le jeu se contente de vous la réciter, à travers des journaux audio, des minividéos, et surtout à travers Elisabeth, la fille qui vous suivra durant les trois quarts du jeu. Elle est la principale narratrice, mais remplacer un journal audio par un PNJ est un pis-aller, car même si la narration est plus naturelle, elle reste décorrélée du gameplay. On vous l’impose, on vous la fait entrer au forceps dans la tête, à l’aide de dialogues et de longues cinématiques dont vous n’êtes que le spectateur. Cinématiques que bien sûr vous ne pouvez pas passer, ce qui vous fera maudire les développeurs au cas où vous souhaiteriez jouer à la campagne une seconde fois.

Et comme 9h de FPS ne suffisent pas à caser tous les dialogues nécessaires pour dérouler le scénario, Bioshock Infinite se termine sur une scène de 15 minutes sans la moindre interaction. L’illustration ci-dessous est d’ailleurs assez parlante. Elle représente une capture d’écran de la section de Wikipedia expliquant l’histoire de Bioshock Infinite :

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La première moitié représente 9h de gameplay. La seconde, 15 minutes. Autrement dit, 50% de l’histoire vous est racontée durant les trois derniers pour cent de la campagne solo, ces 3% n’étant même pas interactifs. À ce niveau, autant faire un film.

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Si vous n’accrochez pas au scénario, vous n’aimerez pas Bioshock Infinite

L’histoire et le gameplay de Bioshock Infinite ne vont pas bien ensemble. D’un côté, on vous raconte votre destin, celui d’un homme qui tente de se racheter en se débattant dans une boucle temporelle, et de l’autre, on vous demande de looter des poubelles tout en massacrant des armées d’ennemis. Autant vous dire que si vous vous cantonnez au gameplay, vous vous sentirez rapidement détaché du jeu que vous finirez par considérer comme un petit tour de train fantôme à travers un univers artificiel, doublé d’un gameplay franchement pas terrible. Seuls les joueurs qui accrocheront au scénario parviendront à s’immerger dans cet univers à la direction artistique sans faille. Je n’en fais pas partie et je me suis profondément ennuyé.

Les screenshots réalisés par neoenigma, JohngPR et Darkdeus utilisent du downsampling ou des mods comme SweetFX. Pour voir à quoi ressemble réellement le jeu, rendez-vous sur Youtube.

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